Crise ukrainienne : l’Allemagne prise de court
Publié le mardi 18 mars 2014 . 4 min. 28
Xerfi Canal présente l'analyse de Jean-Michel Quatrepoint, Journaliste-essayiste
Dans la crise ukrainienne, l'Allemagne n'est pas aux avant-postes des va-t-en-guerre. Et ce, pour une simple et bonne raison : la montée des tensions entre les Occidentaux et Moscou, le climat de guerre froide qui s'installe, vont à l'encontre de ses intérêts géostratégiques. L'Allemagne a un talon d'Achille : sa politique énergétique.
Gerhard Schröder avait choisi l'alliance avec la Russie, en privilégiant les importations de gaz. Il a été la cheville ouvrière, au côté de Gazprom, du nouveau gazoduc Nord Stream, qui double les gazoducs existants qui traversent l'Ukraine.
Le quart de la production de Gazprom est acheté par l'Allemagne. Et le gaz russe représente 30 % de la consommation d'énergie allemande. Des achats plus que compensés par les ventes de matériels allemands à la Russie. Des contrats colossaux pour Siemens ! On ne compte pas moins de 6 000 sociétés allemandes actives sur le marché russe. Mais ce n'est pas tout.
Comme je l'avais expliqué dans une précédente chronique, la Chine, la Russie, le Kazakhstan et l'Allemagne ont réactivé la route de la soie pour le transport des marchandises, par chemin de fer, entre la Chine et l'Europe. Un redéploiement géostratégique pour la Chine qui souhaite que son commerce avec l'Europe ne dépende plus seulement de la voie maritime, au moment où les tensions avec le Japon et les Etats-Unis se font plus vives. En même temps, Beijing se rapproche de Moscou et du Kazakhstan, en devenant progressivement un de ses acheteurs privilégiés de gaz, de pétrole et de matières premières. Quant à l'Allemagne, ses industriels peuvent poursuivre leurs relations privilégiées avec la Chine en équipant au passage les nouvelles voies de chemin de fer.
Angela Merkel n'a pas la même russophilie que Gerhard Schröder et le SPD. Elle n'est pas loin de détester Vladimir Poutine, qu'elle connaît bien. Mais les liens entre l'industrie allemande et la Russie sont tels qu'il n'est pas possible de rebasculer d'un coup toute la géopolitique allemande et sa politique énergétique.
Angela Merkel, en bonne mercantiliste, veut être bien avec ses principaux clients : les Etats-Unis, où l'Allemagne fait de remarquables excédents, et la Chine qui représente à terme un marché considérable. Quant à la Russie, elle est un mal nécessaire. L'Allemagne a encore besoin de son gaz et ne doit pas se fâcher avec elle, car une partie de son commerce avec la Chine va transiter par son territoire.
Consciente de la dépendance énergétique de son pays, Angela Merkel a tenté un pari : se passer rapidement de l'électricité d'origine nucléaire et s'extraire peu à peu de sa dépendance à l'égard du gaz russe. Comment ? En misant sur les énergies renouvelables. Mais un choix qui s'est révélé un fiasco
financier.
Comment se sortir de ce squeeze énergétique ? En remettant au goût du jour le bon vieux charbon. En l'important des Etats-Unis et en réactivant les mines sur le sol allemand. Tant pis pour les émissions de CO2. Second joker : le gaz américain. Pour le moment, les Etats-Unis n'envisagent pas d'exporter ces gaz de schiste qui ont fait chuter les coûts de l'énergie outre-Atlantique.
Un avantage compétitif que les groupes américains ne veulent pas abandonner en exportant ce gaz. Sauf à obtenir des Européens des concessions très importantes sur d'autres secteurs, dans le cadre du futur traité Transatlantique. Voilà pourquoi Angela Merkel pousse depuis le début à ce traité. Il lui permet à terme de basculer progressivement ses achats de gaz de la Russie vers les Etats-Unis, en payant moins cher.
Vladimir Poutine, conscient des arrière-pensées allemandes et des risques de voir le marché européen ne plus être un eldorado pour Gazprom, a engagé, lui, son redéploiement sur la Chine. Mais tout cela prend du temps. Et la crise ukrainienne a pris tout le monde de court. Elle exacerbe des tensions latentes que ni la Russie, et encore moins l'Allemagne n'avaient au fond intérêt à aviver : le mercantilisme allemand a horreur des bruits de botte.
Jean-Michel Quatrepoint, Crise Ukrainienne : l'Allemagne prise de court, une vidéo Xerfi Canal
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