Reprise des secteurs : qui gagne, qui perd
Publié le lundi 2 décembre 2013 . 4 min. 49
Xerfi Canal présente l'analyse de Laurent Marty, Directeur général de Xerfi
Le PIB n'est pas qu'un concept abstrait qui mesure la croissance. C'est d'abord la somme des valeurs ajoutées des secteurs et donc des entreprises. C'est bien ce qui fait l'originalité de Xerfi, cet aller-retour permanent entre les niveaux macro-économique et micro-économique, aller-retour à partir duquel nous réalisons tous les trimestres nos prévisions sur les 40 secteurs importants de l'économie française. Il faut se plonger dans cette réalité de notre tissu productif pour comprendre les dégâts de la crise, tout comme les ressorts actuels du rebond et nous l'espérons de la reprise. Je voudrais d'abord insister sur 4 mécanismes essentiels, indispensables pour comprendre l'état de notre système productif :
1/ Il y a d'abord l'effet d'affaissement :
La crise est venue se greffer sur une tendance longue d'érosion de notre compétitivité, de nos parts de marchés et de notre base industrielle. Cela s'est traduit par une baisse importante du nombre de PME notamment exportatrices. Or, ces PME sont définitivement perdues et nous manquent cruellement en phase de reprise, ce qui explique nos difficultés à retrouver nos niveaux d'activité d'avant crise.
2/ Les effets de diffusion :
Du fait de sa durée exceptionnelle, la base sectorielle de la crise s'est considérablement élargie. Partie de l'industrie, la crise a progressivement contaminé les services aux entreprises, le commerce et l'ensemble des services aux particuliers. Puis, avec un certain décalage, la construction.
3/ Il faut aussi évoquer l'effet d'usure :
Beaucoup d'entreprises ont dans un premier temps adopté des stratégies défensives, elles ont fait le dos rond. Elles ont joué sur tous les paramètres possibles d'ajustement : l'intérim, les heures supplémentaires, les délais de paiement, les primes, les salaires, les réductions de charges, le gel des projets d'investissement. Et c'est vrai que la casse a pu être limitée au regard de la violence et de la longueur historique de la crise. Mais les problèmes chroniques de trésorerie sont un poison qui affaiblit lentement mais sûrement.
4/ Il y a enfin les effets de sélection :
Parmi les entreprises qui ont tenu bon, les plus solides ont opéré les tournants technologiques indispensables pour relever les défis : ceux de l'impératif d'innovation produits comme ceux de la nouvelle révolution industrielle. Les autres se sont contentées de survivre en sacrifiant l'investissement. Mais cette fois ci, c'est la reprise qui les tue, car leurs marchés sont captés par les entreprises qui n'ont pas sacrifié l'avenir. Et dans les effets de sélection, il y a aussi l'impact des reconfigurations géographiques des chaînes de valeur, des arbitrages qui peuvent s'intensifier dans la reprise et accélérer la casse dans certaines filières amont.
En définitive, c'est cette combinaison de tous ces effets qui forge aujourd'hui la composition sectorielle de la croissance, des gagnants et des perdants.
Les secteurs qui vont rebondir
Entrons maintenant dans les secteurs. A l'avant-garde du rebond de 2014 figurent les secteurs cycliques, ceux qui avaient été les plus impactés par la crise des débouchés de 2008 et de 2011. Ce rebond est le reflet d'une demande mondiale qui retrouve non seulement de la vigueur mais surtout qui se recentre sur les marchés occidentaux qui sont nos marchés traditionnels, Laurent Faibis, nous l'a évoqué.
C'est par exemple le cas de la construction navale attendue en hausse de 3% dès l'année prochaine. Avec d'un côté le regain d'activité des chantiers navals STX de Saint-Nazaire alimentée par le paquebot géant «A34», et de l'autre le nouvel élan des chantiers de taille moyenne, le secteur retrouve des couleurs.
Dans les biens d'équipement, la reprise de l'investissement va se diffuser et relancer la fabrication de machines et équipements. Le rebond attendu de 4,5% (Slide 6.7) dans l'automobile est plus délicat à interpréter car il combine deux effets : un effet volume mais aussi un effet stabilisation des parts de marché. Des parts de marché qu'il faut néanmoins relativiser. Si l'on raisonne en valeur ajoutée plutôt qu'en production, la dégradation se poursuit en raison de l'importance des modèles assemblés qui comprennent une part croissante de composants importés.
Les secteurs en position plus délicate
A la traîne, on trouve logiquement les secteurs les plus fortement indexés sur le pouvoir d'achat des ménages : la construction, la restauration, les services aux ménages. Des secteurs qui utilisent beaucoup de mains d'oeuvre, et l'on comprend alors que la reprise sera médiocre en emplois.
Dans le ventre mou de la reprise, on trouve des secteurs qui se situent en position intermédiaire dans nos chaînes de valeur. Ces secteurs sont pris dans un effet sandwich : 1/ d'un côté, une meilleure activité des donneurs d'ordre et une hausse des volumes 2/ mais de l'autre, de fortes pressions sur les prix. Conséquence : les fournisseurs sont sous pression et les marges matraquées.
C'est particulièrement significatif pour les SSII qui afficheront une croissance molle (1,4% en 2013, et 2,5% en 2014), loin des performances des années passées. Leur situation financière pourrait même se dégrader car elles sont contraintes de baisser leurs prix et elles ne bénéficient pas du CICE car elles emploient du personnel qualifié dont les salaires sont supérieurs au seuil de 2,5 fois le SMIC.
Mutations structurelles
Je voudrai évoquer ensuite les bouleversements structurels qui nous obligent à abandonner parfois nos réflexes de conjoncturistes. Emblématique de cela, la distribution : les chiffres de la distribution deviennent très difficiles à interpréter, parfois incompréhensibles tant la révolution du commerce s'accélère. Mais cela n'est là que le jeu de la destruction-créatrice où de nouveaux acteurs chassent les anciens. Valérie Cohen évoquera ce sujet plus en détail.
Plus inquiétant, ce sont des bastions d'excellence de l'industrie française comme les industries agro-alimentaires et la pharmacie qui sont aujourd'hui menacés : secteurs de technologie intermédiaire, ils subissent une concurrence élargie et doivent relever le défi de l'innovation. Savez-vous que le chiffre d'affaires réalisé en France des laboratoires pharmaceutiques a reculé de 2,2% en 2012, une première depuis plus de 20 ans ! On pourrait d'ailleurs être tenté de citer l'industrie pharmaceutique comme une victime collatérale de la crise car le médicament est mis à contribution pour réduire le déficit de la Sécurité sociale. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 prévoit d'ailleurs encore une économie d'1 milliard d'euros en jouant sur le prix des médicaments. Il y a là un problème de cohérence entre le redressement des comptes publics et la politique industrielle.
Mais l'on décèle aussi des secteurs qui se réinventent et qui sont en train de gagner le pari de la différenciation et de la qualité. Je vais prendre un exemple, un seul, hautement significatif ?Et pas dans les high tech ! Non, il s'agit de la filière textile-habillement.
A l'agonie, la production d'habillement remonte la pente depuis 2010. Trois années de progression et 10,6% d'activité en plus. Ce n'est pas un accident: valorisation du made in France et prêt-à-porter de luxe tirent la demande des façonniers malgré la rude concurrence de l'Italie. Quant à l'industrie du textile, son redéploiement vers la fabrication de tissus techniques lui permet aujourd'hui de créer des emplois ! Le renouveau de ces secteurs n'est pas anecdotique. Il prouve que tous les secteurs peuvent se réinventer? c'est le propre des grandes périodes de révolution industrielle. Le progrès technique est d'une telle vigueur, que toute entreprise peut se remettre en selle à condition de saisir les opportunités, de redéfinir son modèle d'affaire, ses process, la fonctionnalité de ses produits. C'est ce profond bouleversement que nous appelons à Xerfi : Iconomie. Une Iconomie qui va façonner de plus en plus vite la nouvelle carte des perdants et des gagnants de la croissance.
Laurent Marty, Reprise des secteurs : qui gagne, qui perd, une vidéo Xerfi Canal
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