Le débat sur la complexité législative et administrative revient sur la table à intervalles réguliers depuis une trentaine d’années. En parallèle, il y a des tentatives de simplification qui se soldent systématiquement par des déceptions. Alors pourquoi ? Est-ce que cela signifie que l’on ne peut tout simplement pas simplifier le droit ? Pour en parler, Xerfi Canal a reçu Philippe Portier, avocat associé au cabinet Jeantet.
Alors déjà, vous êtes de ceux qui pensent qu’une amélioration de notre droit serait la bienvenue…
D'évidence, notre droit être amélioré. Il y a d'abord la question du nombre de textes : les acteurs économiques font aujourd’hui face à une inflation règlementaire qui les entrave dans leurs activités. Et cette tendance s’est accélérée depuis une dizaine d’années. Par exemple, Croissance Plus a relevé récemment que le Code du travail, qui compte 3648 pages, s’était enrichi de 1200 pages en une décennie. Aujourd’hui l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » n’a plus vraiment de sens… D'autant qu'à cette question du volume, s'ajoute évidemment celle de l’instabilité des normes...
Mais alors peut-on simplifier le droit ? Et pourquoi ne le fait-on pas ?
Simplifier, c’est un leurre ! Plusieurs raisons à cela. D’abord, on assiste à une pluralité croissante des sources juridiques. Il faut ajouter à la production du Parlement et du gouvernement tout ce qui émane des organisations supranationales comme l’Union européenne. En plus de cela, il y a les accords multilatéraux, les règlementations spécifiques pour certains secteurs, comme la banque. Même ce que l'on qualifie de soft law, en matière de gouvernance d'entreprise ou de RSE, a tendance à évoluer vers une logique contraignante. Il ne s'agit plus de peaufiner son image : la loi envahit le sujet, ou menace de le faire. Et la responsabilité des dirigeants en la matière commence à alimenter les prétoires.
Donc le monde se complexifie, le droit se complexifie en conséquence, et il est illusoire de penser à une simplification…
Oui, mais il y a une autre raison en ce qui concerne la France, une raison d’ordre culturel. La France se caractérise par un système étatique, centralisé et bureaucratique, qui a un besoin idéologique de tout contrôler et de légiférer jusque dans les cas les plus particuliers. De plus, contrairement au système anglo-saxon de la common law, la jurisprudence n’est chez nous qu’une source de droit secondaire, ce qui au passage ajoute en instabilité. J’irais même plus loin en disant que, même sans le vouloir ouvertement, ce système s’organise pour laisser le moins d’espace de liberté possible à la société civile. En témoignent notamment notre code des impôts, notre droit administratif ou immobilier... Et bien d'autres.
Mais alors que faire si on ne peut pas simplifier le droit pour favoriser l’activité économique ?
Pour moi, la question essentielle doit être, plus que de simplifier, gageure dans un monde de complexité, de clarifier les règles pour en améliorer la qualité, et derrière, l'intelligibilité et la prévisibilité. Il y a des outils pour cela. Je pense par exemple au code de légistique, qui est un guide des bonnes pratiques de rédaction des lois, ou encore les études d’impacts. Mais le premier n’est que rarement consulté et les études trop rarement conduites de manière sérieuse. Plus généralement, il faut sortir de la logique de la loi qui envahit tout dans une logique punitive, pour entrer dans une logique de loi qui accompagne et qui facilite le développement économique, dans le respect des grands principes de notre démocratie sociale. L'exemple de la loi Macron est donc à suivre...
Mais la loi cherche d’abord à combattre les fraudes et les abus par l'interdiction ou l'autorisation administrative….
C’est vrai, mais elle agit en fait de manière contraire aux intérêts économiques de la nation. Elle développe l'aléa moral lié en permettant à quiconque, sans risque ni frais, d'aller devant les tribunaux pour mettre des grains de sable – souvent pour en tirer un bénéfice financier - dans des projets d'intérêt collectif. Pensez au code de l’urbanisme et au temps nécessaire au développement de projets et d'infrastructures en France. S'imposer une autre logique législative, c'est entrer dans une stratégie assurant une meilleure compétitivité et une meilleure attractivité du pays, qui peine aujourd'hui à attirer les investisseurs, voire simplement à conserver ses entrepreneurs.
Philippe Portier, Simplifier le droit, clarifier les règles, une vidéo Xerfi Canal TV
Publié le lundi 26 janvier 2015 . 4 min. 33
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