Le monde agricole est à nouveau au bord de la crise de nerfs. L’annonce de la signature d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, marché commun d’Amérique du Sud, ne passe pas. C’est le syndrome de la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien trop rempli.
L’alliance Mercosur créée en 1991 est aujourd’hui constituée de quatre de ses cinq membres fondateurs : Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay. Le Venezuela a été suspendu en 2017 et la Bolivie l’a rejoint en décembre 2023. L’ensemble représente une population de plus de 280 millions d’habitants, soit les deux tiers des habitants du sous-continent sud-américain. Le PIB cumulé de ce bloc économique est proche de 3 000 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB français. Le niveau de vie des habitants reste cependant nettement en dessous des standards européens, et varie de 1 à 6 entre l’Uruguay, le pays le plus riche, et la Bolivie en bas de l’échelle.
Des opportunités économiques mais des inégalités criantes
Si cette alliance intéresse tant les industriels européens, c’est que la croissance y est plus forte qu’en Europe (le double environ), avec des besoins croissants des habitants et des entreprises en matériels et équipements. Faciliter les échanges de biens et de services entre l’UE et le Mercosur en réduisant fortement les barrières tarifaires semble dès lors une évidence. Les montants en jeu sont déjà colossaux. Rien que sur les biens, les échanges couvrent plus de 50 milliards d’euros d’importations et d’exportations, avec un solde plutôt favorable à l’UE sauf en 2022. Mais le diable se cache dans les détails, car le contenu de la balance commerciale est profondément déséquilibré : les biens non-agricoles et les services sont excédentaires, mais les biens agricoles restent dans le rouge.
Une agriculture européenne fragilisée
La France reflète bien la situation européenne. En moyenne sur les trois dernières années, le solde commercial vis-à-vis du Mercosur est légèrement positif, notamment grâce aux excédents dégagés sur le Brésil et l’Argentine. Pourtant, cette balance commerciale est elle aussi déséquilibrée entre biens non-agricoles et agriculture. La filière viande, celle qui serait la plus impactée (avec le sucre), ne semble pas devoir être mise en péril à première vue. Les importations de viandes en provenance du Mercosur représentent à peine plus de 60 millions d’euros, soit moins de 1 % de ce qui est importé chaque année. Le solde est déficitaire de 61 millions d’euros, à comparer à un déficit global de plus de 2 milliards d’euros.
Les vraies raisons des inquiétudes
Pourquoi tant de craintes alors ? Parce que les importations et le déficit se concentrent sur les filières bovine et volaille, déjà fragilisées. Jusqu’à présent, les flux en provenance de ces pays étaient soumis à des droits de douane et étaient contingentés, limitant leur pénétration. Mais le Mercosur produit un quart de la viande bovine de la planète et représente un tiers des exportations mondiales. Cette production ultra-compétitive pourrait encore se développer si des débouchés plus amples s’ouvraient.
La lutte n’est pas équitable. Ce n’est pas tant le coût du travail qui pose problème, mais le respect de normes réglementaires et environnementales imposées en Europe mais pas ailleurs, faussant totalement la concurrence et rendant les produits français non-compétitifs.
Un décalage réglementaire criant
Il faut se rendre compte des écarts de pratiques autorisées : au Brésil, 145 pesticides interdits en Europe sont utilisés, comme les néonicotinoïdes nocifs pour les pollinisateurs. Les antibiotiques d’élevage utilisés comme activateurs de croissance sont permis dans certains pays du Mercosur mais prohibés en Europe depuis 2006. Les cultures d’OGM, massivement utilisées en Argentine et au Brésil, sont illicites en France depuis 2008. Les hormones bovines, interdites dans l’UE depuis 40 ans, complètent le tableau.
Traçabilité limitée et normes de bien-être animal moins strictes aggravent encore les inégalités. Les raisons de la colère des agriculteurs sont bien là : être sacrifiés par Bruxelles sur l’autel de l’industrie automobile, des biens d’équipements, de la chimie et de la pharmacie, notamment allemands. Pourtant, la souveraineté et la sécurité alimentaire des Français semblaient ne plus être négociables depuis la crise sanitaire.
Publié le lundi 16 décembre 2024 . 4 min. 18
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