Re-visionnons le match France/Angleterre — disons plutôt France/Royaume-Uni — sous l’angle économique et social, préalable utile pour sonder les conséquences du Brexit. 1999-2019 semble la période parfaitement indiquée. Parce qu’au 1er janvier 1999, avec l'euro, les deux pays se mettent sous deux régimes de change distincts. Parce qu’au Royaume-Uni, une page majeure vient d’être tournée : les travaillistes sous l’égide de Tony Blair sont au pouvoir depuis un an et demi après 18 ans de règne conservateurs.
Casse sociale côté britanniques
Première manche et première victoire britannique celle de la croissance. Le PIB a progressé de 1,4% en moyenne par an en France, contre 1,8% de l’autre côté de la Manche : 0,4 point d’écart cela semble peu, mais cumulé sur 20 ans c’est une différence de près de 12 points. Pour affiner l’analyse, le PIB peut être rapporté à la population en âge de travailler, c’est-à-dire par rapport à la force de travail disponible. Cela synthétise à la fois l’évolution de la productivité et la capacité d’un pays à mobilier sa main-d’œuvre pour créer des richesses. Ainsi retravaillé, l’avantage reste aux Britanniques, mais l’écart est divisé par 3.
La victoire britannique sur le marché du travail est une victoire à la Pyrrhus car c’est au prix d’une grande casse sociale. A moins de 4%, le taux de chômage outre-Manche est descendu à son plus bas niveau depuis 20 ans et est 2 fois inférieur à celui de la France. Et si le taux de chômage britannique baisse aussi rapidement c’est que les créations d’emplois sont plus nombreuses là-bas qu’ici :
5,6 contre 3,3 millions sur les deux dernières décennies. Mais un emploi n’en vaut pas forcément un autre. La dégradation de la qualité du travail à un nom en Angleterre : le « contrat zéro heure ». Le salarié est uniquement appelé quand une entreprise (voire le secteur public) a besoin de lui et doit se rendre disponible. Seules les heures travaillées sont rémunérées. En 2015, environ 1,5 million de contrats avec quelques heures par mois et 1,3 million de plus sans aucune heure travaillée étaient recensés au Royaume-Uni. L’« ubérisation » du travail est un autre avatar et peu se détecter à travers la part prise par le travail indépendant. En très forte progression outre-Manche, 15 emplois sur 100 sont des emplois indépendants contre à peine plus de 10 en France. Conséquences de ces transformations du marché du travail, la montée de la précarité et de la pauvreté chez les travailleurs qui atteint un sommet au Royaume-Uni et l’écart avec la France n’a jamais été aussi important.
Effondrement du made in UK… mais pas de la City !
Les performances extérieures donnent l’avantage à la France et dévoilent un Royaume-Uni en voie de désindustrialisation rapide. Et cela devrait s’accélérer avec le Brexit. C’est le lot des économies insulaires qui n’ont pas vocation à être de grands lieux de production industrielle. Ainsi, si les deux pays sont déficitaires, le déficit courant de la France reste contenu à moins de 1% du PIB, quand il descend à près de 5% au Royaume-Uni. Un déficit britannique dont l’origine est le creusement des pertes du côté de la balance des biens qui est à un record que les excédents des services, malgré leur importance, peine de plus en plus à combler. Avec en outre cette particularité : 40% des excédents des services sont attachés aux seuls services financiers. On comprend ainsi mieux l’attachement de Londres à la City. La situation française apparaît beaucoup plus équilibrée avec un déficit des biens qui s’est stabilisé autour de 50 Md€, c’est près de 4 fois moins que le déficit britannique. Une différence qui s’explique par l’effondrement du made in UK. Sur 8 grandes branches industrielles analysées, la France fait mieux 7 fois, avec des écarts de croissance de la valeur ajoutée impressionnants dans les machines et matériels ou la branche chimie-pharmacie. Seule victoire britannique la branche transport, notamment l’automobile.
C’est à l’aune de ce match, que l’on peut éclairer le Brexit et son impact sur le coude-à-coude économique franco-britannique … Tout l’enthousiasme des Brexiter est bâti sur la promesse d’un repositionnement productif britannique sur les marchés lointains… A cela près que cela ressemble à une guerre qui s’engage côté UK, sans armée et sans munition. Et l’on cherche, en dehors de la finance, la nouvelle gamme de services qui serait le fer de lance de cette nouvelle opération Neptune.
Publié le mardi 25 février 2020 . 4 min. 23
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