Pendant un demi-siècle, les économistes ont rêvé d’un monde où les agents économiques étaient rationnels, informés, cohérents. Robert Lucas parlait d’anticipations lucides. Thomas Sargent modélisait la prévisibilité. Eugene Fama imposait l’efficience des marchés financiers. Dans ce monde presque parfait, l’information était complète, les politiques intégrées, les erreurs corrigées par avance. L’État devait se faire discret : les marchés savaient, les individus calculaient.
Le règne perdu de la raison économique
Ce paradigme a structuré la macroéconomie des années 1980 à 2020. Mais il n’a pas résisté à trois réalités brutales : la complexité du monde, la montée de l’intelligence artificielle, et le retour en force du politique, version spectaculaire.
L’intelligence artificielle a piraté le modèle
Aujourd’hui, les marchés ne sont plus pensés. Ils sont codés : 80% des ordres sont passés par des algorithmes. Ce ne sont plus des analystes qui réagissent, mais des machines qui déclenchent des ordres à partir de signaux faibles — mots, courbes, tweets. L’intelligence humaine est reléguée en arrière-plan, incapable de suivre le rythme. L’IA ne fait pas d’anticipations au sens keynésien : elle ne comprend pas, elle optimise. Elle ne voit ni les contradictions, ni les tensions systémiques. Elle lit « baisse d’impôts » — elle achète. Elle lit « conflit commercial » — elle vend. Et elle fait tout cela en millisecondes.
Trump à la Maison-Blanche, la machine s’emballe
Depuis janvier, Donald Trump est de nouveau président. Il gouverne par tweets, par coups, par défi sans que les économistes et investisseurs y trouvent une cohérence. Hausses de droits de douane, attaques publiques contre la Fed, menaces à peine voilées contre les alliés historiques, déclarations confuses sur le dollar : la stratégie est brouillonne, mais les effets sont massifs. Les algorithmes boursiers, calibrés pour réagir à des mots-clés, sont désorientés. Les marchés hésitent, se contredisent, s’affolent. Le logiciel rationnel est obsolète, et les machines sont prises dans la boucle des signaux incohérents.
Les chiffres ne mentent pas, ils vacillent. Voici les données boursières au 22 avril 2025 : le S&P 500 (basé sur les 500 plus grandes sociétés cotées sur les bourses des Etats-Unis) : -12,3% depuis le début de l’année ; le Nasdaq (pour les valeurs technologiques) : –18,2% ; le Dow Jones : –10,3% ; le CAC 40 : 7 277 points, quasiment stable ; le DAX allemand : –4,5% depuis le 1er janvier ; le Nikkei japonais : –3,9% sur le mois d’avril ; le VIX— l’indice de volatilité du S&P 500, souvent qualifié de « baromètre de la peur » de Wall Street au-dessus de 33, signe de panique latente ; l’or à un record à 3 500 dollars l’once ; le Bitcoin à 89 500 $ avec une volatilité extrême. Le FMI a abaissé son estimation de croissance mondiale à 2,8% pour cette année, à 1,8% pour les Etats-Unis et revue à la hausse celle de l’inflation, à 3%.
Qui tient encore le manche à balais
Les marchés ne savent plus où regarder. Les investisseurs lisent les graphiques comme des oracles. L’économie réelle perd en lisibilité, la finance perd en logique. L’instabilité devient le nouveau régime. L’économie mondiale est entrée dans l’ère des gesticulations irrationnelles :
• gesticulations politiques, où l’improvisation tient lieu de stratégie,
• gesticulations financières, où les machines négocient sur des émotions,
• gesticulations collectives, où les théories s’évaporent et les opinions remplacent les faits.
ET l’on peut se poser la question : il y a –t’il encore un pilote dans l’avion ?
Publié le jeudi 24 avril 2025 . 3 min. 43
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