Le pouvoir de marché de l’Opep +, c’est-à-dire des 13 pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole menée par l’Arabie saoudite, augmentés de 10 autres pays menés par la Russie, ne cesse de se renforcer et ce n’est pas terminé. Cette alliance est née fin 2016, quand ces deux blocs se sont coordonnés pour réduire leur production et faire remonter les cours qui avaient chuté à la suite de l’arrivée massive du pétrole de schiste américain sur le marché. Cet attelage, au centre du marché pétrolier, entend bien consolider son emprise et bénéficie pour cela de 4 atouts majeurs.
L’effacement relatif des États-Unis donne un sérieux avantage à l’alliance
Le premier atout de l’Opep + : sa force de frappe. L’Opep +, c’est depuis 2017 en moyenne 45,6 millions de barils produits par jour, soit 62% de l’offre mondiale ; mais c’est surtout plus de 7 barils sur 10 exportés dans le monde. En d’autres termes, tous les pays consommateurs nets, ou quasiment tous, sont contraints de passer par l’un ou plusieurs membres de l’alliance pour s’approvisionner en pétrole.
Une alliance d’autant plus incontournable que la production américaine n’a toujours pas restauré ses niveaux d’avant-crise et à moins de 12 millions de barils jour, il en manque 1 par rapport à la situation initiale. Un déficit d’offre lié à la fermeture de puits, qui se décèle dans l’évolution du nombre d’appareils de forages en activité. Certes, il remonte après avoir touché un point bas en 2020, conséquence de la pandémie. Mais le redressement est nettement moins rapide à ce à quoi l’on pouvait s’attendre compte tenu de la flambée des prix. Deux facteurs sont à l’origine de cette frilosité des opérateurs :
- D’un côté, la crise de la Covid a entraîné de lourdes pertes et l’accès au financement s’est tari, d’autant que l’industrie du schiste américaine a déjà connu une sérieuse alerte en 2016 avec des faillites en cascades après l’effondrement des cours du brut en 2015.
- De l’autre, depuis l’élection de Joe Biden, l’administration est moins favorable à l’exploitation des pétroles et gaz de schiste qui avaient propulsé les États-Unis en 2018 à la première place du classement mondial des pays producteurs de pétrole, place qu’ils avaient cédée en 1975. Dans les faits, c’est l’annonce dès l’arrivée au pouvoir du nouveau Président d’un moratoire sur les nouveaux forages pétroliers et gaziers sur les terres fédérales.
Sans laisser le champ libre aux pays de l’OPEP +, l’effacement relatif des États-Unis donne un sérieux avantage à l’alliance. Quant à la décision du Président américain de puiser 1 million de barils par jour dans les réserves stratégiques à compter de début avril pendant 6 mois, c’est un « one shot ». Ces réserves, il faudra bien les reconstituer alors qu’à moyen terme, les incertitudes (géologiques, techniques) sont grandissantes sur le potentiel de production du pays.
Des entreprises pétrolières occidentales sous pression
Ce qui amène directement au troisième atout de l’OPEP + : les réserves prouvées sont de son côté. Avec près de 1 375 milliards de barils, l’organisation est à la tête de près de 90% des réserves mondiales de pétrole. Avec cette nuance toutefois, une extrême concentration autour de 5 pays : le Venezuela, l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Iraq et les Émirats arabes unis.
Dernier facteur favorable à l’OPEP +, les entreprises pétrolières occidentales sont sous pression. Pression de l’opinion publique, des ONG, des États, des milieux financiers, pour accélérer leur sortie du pétrole et accompagner la transition énergétique. C’est par exemple la décision prise en 2019 par le plus gros fonds du monde, celui de la Norvège, lui-même alimenté par des pétrodollars, de se désengager partiellement de certaines compagnies pétrolières. Mais c’est aussi la décision prise à la COP26 par une vingtaine de pays de supprimer toute aide à l’export pour des projets d’exploitation pétrolière. Conséquences de ces pressions, les majors occidentales vont réduire leurs investissements et céder des actifs. Cet assèchement des financements occidentaux dans l’amont pétrolier va accentuer une tendance déjà en place depuis 2015 avec la division quasiment par deux des sommes investies, alors que le volume des nouvelles réserves découvertes chaque année ne compense pas les quantités consommées annuellement. Et, si l’urgence climatique fait consensus, la modification des comportements conduisant à une baisse structurelle de la demande mondiale de pétrole reste une gageure dans les 10 ans à venir, demande qui se heurtera à une offre sous tensions, maintenant les prix sous pression. Plus en retrait, les compagnies pétrolières occidentales vont également laisser le champ libre aux entreprises nationales pour accroître leur production et aux pays producteurs, principalement l’OPEP +, étendre leur influence sur le marché pétrolier.
C’est un signe. Tous les yeux sont aujourd’hui tournés vers l’Arabie saoudite qui ne cède pas aux pressions des Occidentaux pour massivement augmenter sa production et combler ainsi les conséquences de l’interdiction d’importer du pétrole russe. Un temps sans pouvoir de contrôle avec l’inondation du marché par le pétrole américain, l’OPEP + tient aujourd’hui sa revanche.
Publié le jeudi 21 avril 2022 . 5 min. 02
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d'Alexandre Mirlicourtois
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