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Voici un miracle économique. Selon les données d’Eurostat, l’Irlande a été le seul pays européen à afficher une croissance positive en 2020, devançant dans l’ordre la Lituanie, la Norvège, le Luxembourg et la Pologne pour se limiter au top 5. À +2,5%, elle se place loin devant les économies majeures comme l’Allemagne, la France ou l’Italie en récession profonde et très loin devant son voisin britannique, en chute de près de 10%. En fait, l’Irlande incarne à elle seule trois caractéristiques de ces petites économies où 1) le PIB a perdu son sens, 2) l’incroyable domination des GAFAM dans le jeu du capitalisme contemporain et 3) leur incapacité d’entraînement des territoires.


La supercherie statistique irlandaise n’est pas nouvelle


Entre 2009 et 2019, le PIB de l’Irlande s’est envolé de plus de 81%, quand celui de la zone euro (hors Irlande) s’élevait de 13,5%, soit un rapport de 1 à 6. Ce bond de l’économie irlandaise ne se retrouve pourtant ni dans l’emploi (qui a peiné à retrouver son sommet d’avant la grande récession de 2008-2009) ni dans la consommation dont le poids n’a cessé de diminuer en proportion du PIB, ce qui témoigne de la décorrélation entre le PIB et l’augmentation des revenus des personnes qui résident et travaillent réellement en Irlande.


L’exercice 2020 a poussé jusqu’à la caricature tous ces traits. La consommation des ménages irlandais a ainsi chuté de plus de 9%, c’est quasiment le double qu’en 2009 lors de la grande récession, ce qui place le pays à un niveau comparable aux autres grandes puissances économiques régionales. En matière d’investissement, le décrochage irlandais est même 3 fois plus intense qu’en France et près de 10 fois plus qu’en Allemagne.


Là où l’Irlande fait la différence, c’est au niveau de ses exportations de biens et services. À peine écornées au 2e trimestre 2020 au plus profond de la crise de la Covid-19 en Europe, elles ont très vite repris leur marche en avant et affichent un bilan positif de +6,2% en volume sur l’ensemble de l’année quand les exportations des autres pays de la zone euro sombraient de plus de 11%. La contribution du commerce extérieur à la croissance irlandaise est phénoménale à 20 points. Un chiffre hors norme surtout comparé à celui des autres pays de l’Union monétaire pour qui le commerce extérieur a ôté 1,2 point au PIB.


Des indicateurs rendus illisibles à cause des multinationales


Dans les faits, la lecture des chiffres irlandais devrait toujours s’effectuer en se débarrassant du poids encombrant des compagnies multinationales à l’origine 50% du PIB. Des multinationales — qui pour bénéficier d’un taux officiel d’imposition sur les sociétés à 12,5%, voire moins — mettent en place des montages plus ou moins complexes pour réduire le plus possible leur imposition. Du point de vue de la comptabilité nationale irlandaise, cela rend illisibles de nombreux indicateurs : la production réalisée à l’étranger est ainsi considérée comme une production irlandaise et les revenus tirés de sa vente sont enregistrés dans le PIB via les exportations, des exportations sans passage de frontières. La comptabilisation de l’investissement est aussi impactée, la liste est longue et modifie en profondeur à la fois le niveau et l’évolution du PIB tout comme la dynamique de ses composants. Mais cela affecte aussi les chiffres de la zone euro.


Ainsi, au 2e trimestre 2019, cette économie, qui pèse à peine plus de 3% du PIB eurolandais, aurait expliqué la moitié de la progression de la zone euro. Se débarrasser de l’artefact de croissance lié aux multinationales est une nécessité. Le CSO, l’équivalent de l’Insee irlandais, s’y essaie. Le résultat pour 2020 est saisissant. Décomposé, le PIB fait apparaître :


• une hausse de plus de 18% du côté des firmes multinationales sous domination de capitaux étrangers. Ce n’est pas étonnant quand on sait qu’il s’agit essentiellement des GAFAM et de grands groupes pharmaceutiques à qui la crise de la Covid-19 a été très profitable ;
• et de l’autre, une chute de 9,4% de la richesse créée par les autres opérateurs, une plus juste mesure du choc de la crise sanitaire sur les entreprises véritablement ancrées sur le territoire et les ménages.


Le PIB officiel affiché à 2,5% est ainsi vide de sens, tout comme la prétendue marche triomphale du « Tigre celtique » dont le PIB se serait envolé de 65% depuis 2014, soit au rythme effréné de 8,7% l’an, c’est près de 3 points de plus que la Chine. Mai ce n’est rien d’autre que la marque de choix fiscaux de localisation de leurs revenus imposables par des multinationales, principalement américaines, sans réelle retombée sur le reste du tissu productif.


Petits pays avec d’énormes multinationales, la folle progression du PIB irlandais est plus la marque de l’enrichissement de grandes firmes que celui de ses habitants.


Publié le mardi 23 mars 2021 . 4 min. 30

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