La France corrompue

La question n’est plus de savoir si la corruption existe en France, mais plutôt d’évaluer jusqu’où elle s’étend, quelles formes elle prend au quotidien, comment elle évolue et se situe vis-à-vis du reste du monde. Les statistiques de l’Agence française anticorruption permettent de rentrer dans le détail. Sur fond d’une tendance générale à la hausse du nombre d’infractions, conséquences à la fois d’une société plus exposée à la corruption mais aussi d’une plus grande volonté des pouvoirs publics de la combattre, trois principaux éléments ressortent des statistiques.

Une augmentation notable de la corruption

Tout d’abord, la corruption stricto sensu a fortement augmenté ces dernières années et a représenté près de 30% des cas entre 2016 et 2023. Précision, la corruption active (payer un agent pour qu’il agisse ou s’abstienne dans le cadre de ses fonctions) est plus fréquente que la corruption passive (un agent accepte un avantage indu pour agir ou non). Avec la corruption, le détournement de biens ou de fonds publics et la prise égale d’intérêt, autrefois qualifiée d’ingérence (c’est-à-dire le fait de participer à un processus décisionnel dans le cadre de ses fonctions tout en détenant par ailleurs un intérêt, souvent de nature privée, susceptible d’orienter sa décision) sont les infractions les plus courantes, représentant plus de 40% de l’ensemble. Les autres délits, comme le favoritisme, le trafic d’influence ou la concussion (soit la perception illégale d’une somme par un fonctionnaire) restent plus minoritaires.

Enfin, la corruption touche davantage le secteur public que le secteur privé, peut-être en raison d’une meilleure traçabilité, mais aussi parce qu’elle est plus investiguée. Quant au portrait-robot des mis en cause : il s’agit dans 94% des cas de personnes physiques, très majoritairement des hommes, avec une surreprésentation des 45-54 ans. L’accès aux postes à responsabilité et les atteintes à la probité s’accroissent avec l’âge.

Des disparités géographiques significatives

Il existe aussi une cartographie des infractions. Rapportée à la population, elles se concentrent plus particulièrement en Corse et dans les territoires ultramarins : Polynésie, Guyane, Guadeloupe. En métropole, les infractions s’accumulent plutôt dans l’Est et le Sud, exception faite de l’Île de France, principalement de Paris, qui centralise de nombreuses institutions gouvernementales, sièges sociaux d'entreprises, et organisations internationales propices aux dérives.

Une position internationale stable mais perfectible

Au niveau international, la corruption dans les administrations publiques et la classe politique est évaluée par l'indice de perception de la corruption de l'ONG allemande Transparency International. Le constat pour la France : des efforts restent à faire. L'IPC, noté de 0 (très corrompu) à 100 (peu corrompu), place la France au 20? rang sur 180 pays avec 71 points, aux côtés de l’Autriche, des Seychelles et du Royaume-Uni. D’un côté, les pays nordiques, comme le Danemark, dominent le classement ; de l’autre, les pays en conflit ou sous régimes autoritaires (Yémen, Sud-Soudan, Syrie, Venezuela, Somalie) ferment la marche. Le score français reste stable depuis 10 ans, ce que l’ONG explique par un manque d’exemplarité de l’exécutif et une justice pas assez indépendante.

Un autre indicateur, l'indice global de corruption de la société suisse GRP, élargit l’analyse à la corruption privée et aux crimes en col blanc. Résultat : des progrès pour la France. Elle se classe en 17ème position sur 196 pays alors qu’elle pointait à la 21ème place en 2018, date de la première édition de l’indice. En tête, les pays d’Europe du Nord sont les plus vertueux quand la Corée du Nord et la Syrie sont les plus corrompus. La transparence progresse en France, l’ampleur de la corruption est mieux mesurée car dans ce domaine, plus on cherche, plus on trouve.