Xerfi Canal présente l'analyse d'Alexandre Mirlicourtois, directeur des études de Xerfi
La chute est spectaculaire. En un mois, l’euro a dégringolé de 1,33 dollar à moins de 1,23 dollar le vendredi 1er juin. C’est son plus bas niveau depuis juillet 2010. Certes, depuis la monnaie unique s’est légèrement reprise, pour tourner autour de 1,25 dollars, mais avec le climat d’incertitude extrême qui règne en Europe, l’euro pourrait bien plonger de nouveau ces prochaines semaines. Il pourrait même enfoncer assez vite son cours d’introduction de janvier 1999, c'est-à-dire 1,18 dollar. Une baisse qui va devenir un nouveau point de crispation entre l’Allemagne et ses principaux partenaires. Pour l’Allemagne, une monnaie faible est insupportable. Tout simplement car cela rend moins performant le business model de ses entreprises et ruine son propre modèle économique national et sa stratégie. Au début des années 90, après sa réunification, l’Allemagne a trouvé sur son flanc Est face à des pays en manque de compétitivité. Des pays qui disposaient d’un réservoir de main d’œuvre qualifiée et peu rémunérée mais aussi de monnaies faibles. Une véritable opportunité pour les entreprises allemandes qui se sont ruées vers l’Est. Des pays, il faut le rappeler, qui constituaient historiquement la zone d’influence du monde germanique. Cette ruée vers l’est a permis de mettre en place ce que les allemands appellent eux-mêmes une économie de bazar. Ce business model de l’économie de bazar, c’est quoi ? C’est délocaliser une partie de la chaîne de valeur dans les PECO, pour ensuite importer des modules aux coûts réduits. Une stratégie de désintégration de la chaîne de valeur d’autant plus importante que les salaires sont faibles à l’Est, et que l’euro est fort face aux monnaies locales. Des modules qui sont alors contrôlés et assemblés sur le territoire allemand et estampillés « made in Germany ». D’ailleurs l’analyse des échanges extérieurs des pays situés à la frontière Est de l’Allemagne parle d’elle-même. Pologne, République tchèque, Hongrie et Roumanie, à chaque fois l’Allemagne est le premier fournisseur mais aussi le premier client. Dans certains pays, sa position est hégémonique alors même que ces pays, pris séparément, pèsent peu dans les exportations allemandes. En clair, il s’agit d’une liaison de type donneur d’ordres sous-traitants. On l’a compris, cette stratégie bénéficie d’un euro fort qui réduit le coût des modules importés. Mais la stratégie de notre voisin repose tout autant sur des facteurs internes. Les industriels d’outre-Rhin trônent depuis longtemps sur le haut de gamme. C’est un héritage du deutschemark fort qui a poussé les entreprises allemandes non seulement à être très compétitives mais aussi à se positionner dans une compétition hors coûts. Souvent en situation de monopole sur leurs marchés, les sociétés allemandes sont ce que l’on appelle price maker. Ce qui signifie que leur capacité à exporter ne souffre pas ou peu d’un euro fort. Baisse des coûts par l’économie de bazar et la déflation salariale en interne, positionnement haut de gamme et concurrence hors prix pour les exports, c’est bon pour les marges des entreprises. Une tactique payante qui a également permis à l’Allemagne d’engranger des excédents commerciaux sans discontinuer. 1 650 milliards d’euros : c’est la montagne d’excédents cumulés en 10 ans. C’est plus que le PIB italien ! Mais ce tas d’or fond mécaniquement avec la baisse de l’euro. Et c’est bien ce qui est impensable outre-Rhin. Car ce tas d’or c’est l’effort d’épargne des Allemands. Une épargne indispensable dans un pays vieillissant, touché par la dénatalité, dont la population nationale décroit inexorablement. S’attaquer à ce tas d’or revient à s’attaquer au futur pouvoir d’achat des retraités allemands. La cohérence de la stratégie allemande repose bien sur une devise forte. A l’opposé, avec leurs positionnements d’entrée et de milieu de gamme, l’Espagne, le Portugal, la France et dans une moindre mesure l’Italie, sont dans une logique de lutte par les coûts. Ce qui rend leurs exportations très sensibles à « l’effet devise ». Un euro en baisse leur permet de se prémunir chez eux des assauts des pays hors zone euro mais aussi d’exporter plus facilement. Bref, le recul de l’euro est salutaire pour ces pays où la demande intérieure est étouffée. Grâce à ce recul, ces économies peuvent miser sur un rebond des exportations hors zone euro. Et l’enjeu est de taille. Regardez. Si la part des exportations portugaises vers les pays en dehors de l’Euroland dépasse à peine 37%, elle monte à plus de 43% pour l’Espagne, grimpe à près de 52% en France pour atteindre près de 57% en Grèce et 58% en Italie. Pour résumer, un euro faible c’est une planche de salut pour permettre à ces pays de rebondir. C’est tout à fait différent pour l’économie allemande qui a, elle, besoin d’une monnaie forte, euro ou autre. Et il y a désormais un vrai conflit d’intérêt sur la valeur de l’euro entre l’Allemagne et les pays du sud. Mais pour l’heure, c’est bien la conception allemande qui domine.
Alexandre Mirlicourtois, La chute de l'euro, à qui perd gagne !, une vidéo Xerfi Canal
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