Les Pays-Bas font figure d’anomalie stratégique. Dix-huit millions d’habitants, mais troisième voire deuxième exportateur agricole mondial selon les années, premier port européen, et une balance commerciale positive depuis deux décennies. Cette performance repose sur un modèle : ouvrir grand les portes, produire avec le monde, et redistribuer au cœur de l’Europe.
Rotterdam, clef de voûte du commerce eurasiatique
Le port de Rotterdam est bien plus qu’un port : c’est la porte d’entrée de l’Europe du Nord pour les flux mondiaux. Il connecte la Chine, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique du Nord au cœur industriel du continent, de la Ruhr allemande à la vallée du Rhône. À ce titre, l’économie portuaire néerlandaise pèse lourd : plus de 385 000 emplois directs et indirects, 6% du PIB. Il concentre plus de 13 millions de conteneurs par an, un chiffre stable mais désormais sous tension. Car la fluidité mondiale sur laquelle il repose se fissure.
Des géants comme ASML (semi-conducteurs), Unilever (biens de consommation), Philips (médical), ou DSM-Firmenich (chimie) s’insèrent dans des chaînes globales complexes. Leur compétitivité repose sur l’accès fluide aux composants étrangers, aux capitaux mondiaux et aux débouchés lointains. L’économie néerlandaise est une mécanique de précision globale.
Trump, le retour du chaos organisé
La réélection de Donald Trump en novembre 2024 a relancé le scénario du pire : barrières douanières, menaces sur l’OMC, politique de relocalisation industrielle agressive, bras de fer avec la Chine. L’ordre commercial multilatéral se disloque. Et ce n’est pas un repli américain isolé : l’Inde, le Brésil, même l’UE renforcent leurs protections.
Dans ce contexte, le port de Rotterdam devient une vulnérabilité systémique. Moins de flux vers l’Europe, moins de transit, reconfiguration des routes maritimes : les grands armateurs réduisent leurs escales, ou déplacent leurs priorités vers la Méditerranée ou la mer Noire. Même l’Allemagne explore des alternatives pour sécuriser ses importations. Rotterdam risque la marginalisation.
Amortir sans renoncer
Le gouvernement néerlandais ne capitule pas. Il parie sur l’innovation logistique, la digitalisation du port, la transition énergétique et la montée en gamme industrielle. L’alliance avec l’Allemagne et le soutien de l’UE pourraient stabiliser les flux. Mais le modèle reste fragile tant que les règles du jeu mondial restent mouvantes.
Rotterdam était l’icône d’un monde plat, fluide, prévisible. Il devient le thermomètre d’un monde fragmenté, incertain, conflictuel. Les Pays-Bas ont longtemps prospéré sur la paix des flux. Si la géopolitique continue de torpiller le commerce, c’est leur fonction même de nation-pivot qui est en péril.
Publié le mardi 03 juin 2025 . 3 min. 05
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