L’illusion d’une vérité chiffrée
Dans notre société de la donnée, les statistiques font figure de vérité froide, indiscutable, objective. Elles rassurent par leur apparente rigueur. Mais cette foi dans les chiffres est une forme de croyance. Le regretté Michel Volle, économiste et statisticien de référence, le rappelait sans relâche : « Une statistique n’est jamais un fait brut. Elle est le produit d’un modèle, d’un appareil de mesure, et d’une intention. » Croire qu’un chiffre parle de lui-même, c’est oublier qu’il est le fruit de conventions, de méthodes, parfois de manipulations.
Des moyennes qui masquent les fractures
Les statistiques agrégées simplifient… et souvent trahissent. La moyenne des revenus, le taux de croissance, le niveau de satisfaction : autant d’indicateurs globaux qui effacent les disparités internes. Un revenu moyen peut cacher une extrême polarisation. Un taux de satisfaction client de 80% peut dissimuler une forte dissymétrie entre enthousiastes et détracteurs. Comme l’écrivait Jean Gadrey, « Le PIB mesure un mouvement, pas un progrès. » L’indicateur économique roi n’a jamais dit si l’économie servait l’humain.
La causalité, ce mirage statistique
Autre biais courant : la confusion entre corrélation et causalité. Deux phénomènes qui évoluent de concert ne sont pas nécessairement liés par une relation de cause à effet. Exemple trivial : la hausse simultanée des ventes de crèmes solaires et des noyades ne signifie pas que l’une provoque l’autre. Comme le rappelle Nate Silver, « Plus vous avez de données, plus vous trouverez de relations qui n’ont aucun sens. »
L’angle mort des définitions
Les statistiques sont toujours dépendantes de leurs définitions initiales. Qui décide de ce qu’est un « chômeur » ? Que signifie « pauvreté » selon les seuils choisis ? Le statisticien Alain Desrosières a magistralement montré comment les chiffres sont le produit d’un compromis entre technicité et politique. Définir, c’est déjà orienter.
La puissance performative des chiffres
Un chiffre n’est pas neutre : il agit. Il détermine des politiques, légitime des choix, soutient des narratifs. La publication d’un chiffre influence les comportements qu’il prétend décrire. C’est ce que les sociologues appellent l’effet performatif. Une mauvaise mesure peut engendrer une mauvaise action. Un chiffre mal compris peut avoir plus d’impact qu’un bon raisonnement.
Pour une culture critique de la donnée
Michel Volle plaidait pour une statistique réflexive : une discipline exigeante, soucieuse de rigueur intellectuelle et de transparence méthodologique. Il ne s’agissait pas de rejeter les chiffres, mais de les interroger sans naïveté. Dans un monde saturé de données, la littératie statistique – la capacité à lire, comprendre et critiquer les chiffres – devient une compétence citoyenne et managériale essentielle.
Conclusion : se méfier, c’est comprendre
Se méfier des statistiques, ce n’est pas sombrer dans le relativisme. C’est refuser d’en faire des totems d’autorité. C’est exercer sa lucidité pour comprendre ce que les chiffres disent, et surtout ce qu’ils ne disent pas. Le chiffre est un langage : encore faut-il apprendre à le lire.
Publié le lundi 02 juin 2025 . 3 min. 14
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