Pourquoi les salaires n’augmentent pas malgré la reprise
La croissance est repartie, l’investissement, l’emploi lui ont emboité le pas, les profits et les dividendes sont là. Manquent à l’appel, les salaires, c’est le chainon manquant de la reprise. Aux États-Unis, au Japon, dans la zone euro, le taux de chômage est en baisse rapide et proche de son niveau structurel pour les deux premiers. Le plein emploi, n’est donc plus très loin.
Pourtant, aucune réelle flambée des salaires ou de franches accélérations des coûts unitaires salariaux, c’est-à-dire le ratio entre le coût de la main d’œuvre et la productivité. Aucune dérive n’est constatée ni aux Etats-Unis, où sa progression ne dépasse pas 2% et encore moins en zone euro où elle reste coincée en-dessous de 1%.
La courbe de Phillips en question
Or, si l’on se réfère à la courbe de Phillips, il existe une relation directe entre taux de chômage, salaire et inflation. Quand le taux de chômage baisse, le manque de candidats pousse les entreprises à augmenter les salaires à l’embauche pour capter une nouvelle main-d’œuvre mais aussi en interne pour conserver son personnel, ce qui se traduit par ricochet par une pression sur les prix donc de l’inflation.
C’est d’ailleurs bien pour cela que les banques centrales accordent autant d’attention aux évolutions du marché du travail. L’ennui, c’est que la courbe de Phillips fonctionne beaucoup moins bien, voire plus du tout. Comment cela est-il possible ? D’abord, avec la crise le chômage a perdu de sa pertinence comme outil de mesure de l’état de tension du marché du travail. Le taux de chômage est à son plus bas niveau aux Etats-Unis depuis décembre 1969. Certes, mais le taux d’emploi, c’est-à-dire le rapport entre le nombre de personnes au travail et le nombre de personnes en âge de travailler (par convention les 15-64 ans) reste encore écarté de près de 2 points de son dernier pic de 2006 et de 4 environ de son record du 2ème trimestre 2000.
Main-d’œuvre mobilisable, démographie et concurrence
En d’autres termes, il existe une réserve de main-d’œuvre mobilisable constituée de ces Américains qui étaient sortis du marché du travail, faute d’espoir de trouver un nouveau poste et qui reviennent à l’emploi au fur et à mesures des nouvelles opportunités qui se présentent avec le retour de la croissance. En zone euro, le taux de chômage diminue aussi rapidement, mais de l’aveu même de la BCE, il faudrait prendre une définition élargie en intégrant les personnes proches du marché du travail : c’est-à-dire les personnes disponibles mais ne recherchant plus de travail, car une majorité est découragée. Auxquelles s’ajoutent celles sans emploi, qui recherchent du travail mais qui ne sont pas disponibles dans les deux semaines. Enfin, il y a tous ceux et celles en sous-emploi, c'est-à-dire les personnes qui travaillent à temps partiel mais qui souhaiteraient travailler plus. Au final, en mettant bout à bout ces « chômeurs oubliés » la BCE arrive à une sorte de taux de chômage « large » qui était fin 2016 quasiment le double de celui annoncé par Eurostat. La file d’attente ne serait donc pas 8,5% de la population active en zone euro actuellement mais de 16% environ.
On comprend mieux alors pourquoi les salaires restent coincés et la courbe de Phillips n’est peut-être pas à jeter aux oubliettes. Si l’outil pour mesurer les tensions sur le marché du travail donne une information biaisée sur son état de surchauffe, d’autres éléments d’explication sont à rechercher dans la formation même des salaires. Premiers élément, l’effet de Noria. Conséquence des nombreux départ à la retraite, de nombreux salariés âges sont remplacés par des plus jeunes dont les salaires sont plus faibles : c’est manifeste en France (comme dans les autres pays), les salaires sont une fonction de l’âge.
Deuxième élément, la pression de la concurrence internationale. D’abord du fait de l’ouverture croissante des marchés et de la prolifération de concurrents venus de pays à faibles coûts. Ensuite parce que la transformation numérique participe très largement à l’intensification de la concurrence, à tous les niveaux. Cette mise sous tension généralisée exerce une pression à baisse sur les coûts salariaux à tout comme celle mise par les actionnaires. Les exigences de rendement maintiennent l’étau sur les rémunérations. L’inflation salariale ne revient pas et le dégel des salaires est encore lointain.
Publié le mercredi 20 juin 2018 . 4 min. 14
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