Est-ce la baisse du pouvoir d’achat qui accable les ménages ou l’irrésistible montée d’un vouloir d’achat insatisfait ? Une chose est certaine, les Français n’ont pas retrouvé leur niveau de confiance d’avant la crise de la Covid. Les derniers pics d’inflation, les factures énergétiques et alimentaires qui ne reviendront probablement jamais à leurs niveaux d’avant la crise sanitaire mais aussi les inquiétudes sur l’évolution de sa propre situation financière assombrissent le quotidien et minent le moral de tout un chacun. Mais il se cache une réalité plus sournoise : ce n’est pas seulement ce qu’on ne peut plus acheter qui déprime, mais ce qu’on rêve d’acheter et qu’on sait inaccessible.
La consommation comme système de désirs
Selon l’Insee, le pouvoir d’achat par unité de consommation, c’est-à-dire en prenant compte à la fois de l’évolution du nombre de ménages et de leur composition, a augmenté de 0,3% en 2023, et devrait encore progresser de 0,9% cette année selon notre estimation à Xerfi. Des chiffres certes modestes, mais en total décalage avec la chute généralisée du moral des consommateurs et de leurs opinions sur l’évolution de leur niveau de vie futur. Ce contraste s’éclaire à la lumière des travaux de sociologues comme Jean Baudrillard ou Jean Viard qui soulignent que la société de consommation vend des « désirs » avant de vendre des « biens ».
La consommation dépasse la simple acquisition de biens matériels pour devenir un système où les désirs et les besoins sont créés et manipulés par les mécanismes de la publicité et du marketing. Autrement dit, la consommation est devenue une fin en soi, où les objets sont moins valorisés pour leur utilité que pour les significations et les désirs qu'ils véhiculent. Les promotions de Black Friday ou les vitrines digitales des géants du e-commerce attisent des rêves qu’une majorité ne peut plus financer, alimentant un malaise latent.
Vers un consumérisme plus responsable
Comme le prouve la hausse structurelle des encours des crédits à la consommation, les Français s’endettent toujours plus pour rester dans la course. Mais rien n’y fait. Enquête après enquête, une majorité de consommateurs se déclare frustrée de ne pas accéder aux produits « premium ». La tentation du luxe accessible — smartphone dernier cri, vacances exotiques, sports d’hiver ou vêtements de marque — alimente une bipolarité entre un quotidien austère et des envies somptueuses. Pierre Veltz, économiste, constate que les promesses de montée en gamme de la société se heurtent à une stagnation des revenus réels.
Il alerte aussi sur les dérives du modèle consumériste qui fragilise le tissu social. Dans cette course effrénée au mirage de l’abondance, un retour à des aspirations plus collectives pourrait être salutaire. Réapprendre à consommer de manière raisonnable et responsable ne relève pas d’un sacrifice, mais d’un impératif culturel pour sortir de cette impasse morale. La morosité actuelle n’est pas qu’économique, elle est culturelle, psychologique... et politique. Les Français ne sont pas forcément pauvres : ils sont trahis par leurs rêves.
Publié le mardi 03 décembre 2024 . 2 min. 57
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