Le réveil est brutal : c’est fini, les Américains ne garantiront plus la sécurité des Européens. Pendant trop longtemps, chacun a utilisé son petit budget, au mieux pour soutenir son industrie nationale, au pire pour se gaver de matériels américains à n’utiliser que sous l’accord express de Washington. Face au mur de la réalité, les gouvernements européens réagissent enfin. Élargi au périmètre OTAN, le budget de l’Europe de défense est passé de 317 milliards de dollars en 2021 à 453 en 2024, en hausse de 43%. Plus marquant encore : parmi les 28 pays européens membres de l’OTAN, 21 consacrent aujourd’hui plus de 2% de leur richesse nationale à leur budget militaire. Ils étaient moins de 10 en 2023 et 5 en moyenne sur les 10 années précédentes.
Un effort qui reste insuffisant
L’Europe, plus offensive, reste néanmoins loin du compte. Trois dimensions sont à intégrer. D’abord, une photo est un « instantané », or une défense se construit sur le long terme. De 2003 à 2023, le budget militaire cumulé des États-Unis a dépassé 14 000 milliards de dollars, contre moins de 5 000 milliards pour l’UE, un rapport de 1 à 3. Avec un effort militaire américain constamment supérieur à 3% du PIB, l'écart ne cesse de se creuser. La Chine n'est pas en reste. Même si ses chiffres bruts peuvent paraître inférieurs à ceux de l'Occident, ses coûts industriels bien plus faibles lui permettent d'obtenir une capacité militaire bien supérieure pour chaque dollar investi. Autrement dit, l'Europe et les États-Unis doivent dépenser beaucoup plus pour atteindre le même niveau d'efficacité.
Une Europe à plusieurs vitesses
Deuxième dimension, l’effort européen est loin d’être homogène. Historiquement, la Grèce, la Pologne, les pays baltes, le Royaume-Uni et la France dépensent plus que leurs voisins. C’est encore le cas. Toutefois, après avoir longtemps déserté, l’Allemagne se réarme à nouveau et dispose depuis 2024 du premier budget de défense européen, à près de 100 milliards de dollars. En revanche, de grandes économies européennes comme l’Italie, la Belgique et plus encore l’Espagne ont consacré à peine plus de 1% de leur budget au militaire en moyenne ces 10 dernières années et se comportent en véritables passagers clandestins. Ce n’est guère mieux pour le Portugal ou les Pays-Bas. L’ambition européenne d’aller très rapidement vers 3% du PIB consacrés aux dépenses militaires, avant de tendre vers 5%, est illusoire si ces pays ne jouent pas le jeu.
Un écosystème industriel morcelé
Troisième dimension, du côté industriel, le défi est aussi de taille. Il n’y aura pas de réarmement possible de l’Europe sans la montée en régime de son industrie de la défense. Or, elle est éparpillée : d’après une étude de McKinsey, l’Europe dispose de 5 fois plus de plateformes d’armes (avions, chars, frégates, etc.) que les États-Unis. Chaque pays a ses propres normes de certification, ses propres standards. Chaque État cherche à conserver chez lui ses capacités industrielles de défense. Compte tenu de l’étroitesse des demandes nationales, difficile de voir émerger des champions européens alors qu’Américains et Chinois bénéficient de la profondeur de leur marché domestique. Et quand de vastes programmes de coopération européenne sont lancés, le principe, dit du « juste retour », qui consiste à obtenir une charge industrielle équivalente à l’investissement que chaque État a consenti, participe aussi au morcellement de l’offre.
Bilan : sur les 10 premiers groupes mondiaux d’armements, 6 sont américains, 3 sont chinois, 1 seul, le britannique BAE Systems, est européen. L’Europe n’est plus invitée à la table des grands. L’Europe se réveille, mais son retard est abyssal ; sans unité industrielle, son réarmement restera un mirage.
Publié le vendredi 28 février 2025 . 4 min. 03
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