15 000 sanctions et restrictions plus tard, l’économie russe est toujours debout. L’objectif des gouvernements occidentaux était pourtant bien de l’étouffer pour assécher le financement de la machine de guerre du Kremlin. Seulement voilà, selon les données du Fonds monétaire international (FMI), la Russie a enregistré une croissance plus rapide que celle de la zone euro et des États-Unis en 2023, et il en sera de même cette année. Une année 2024 commencée tambour battant avec un PIB en hausse de près de 5% au 1er semestre, ce qui place le pays au-dessus des États-Unis et loin devant une Europe à la traîne. Alors certes, le FMI anticipe désormais un sacré coup de frein en 2025, mais cela ne reste qu’une prévision maintes fois annoncée et toujours prise à défaut. Faut-il pour autant conclure sur l’inefficacité des mesures prises ? Pour le décréter, il faut d’abord revenir sur la stratégie occidentale mise en place.
Affaiblir la Russie par l'économie : les failles de cette stratégie
Outre le tarissement des entrées de devises via l’embargo sur les hydrocarbures, l’arme de destruction massive était celle d’une déstabilisation économique par la guerre des changes. L’effondrement de la monnaie devait déclencher une réaction en chaîne : renchérissement des produits importés, rationnement des importations donc de l’offre pour exacerber les pénuries liées aux restrictions à l’export imposées par l’UE et les États-Unis. Ce cocktail devait conduire à l’effondrement de la croissance et à une flambée inflationniste, voire à l’hyperinflation. Ce plan n’est pas sans faille. La principale provient d’une combinaison mêlant préservation d’une partie des recettes issues des énergies fossiles, réorientation géographique du commerce extérieur, substitution des importations par une production plus locale et, enfin, mise en place d’une économie de guerre.
Si les statistiques sur les hydrocarbures sont aussi une arme de propagande, il émerge cependant de façon quasi certaine que, si les productions de pétrole et de gaz ont effectivement baissé, elles ne se sont pas effondrées. De plus, l’Inde, la Chine et la Turquie se sont substituées à la clientèle européenne pour tout ce qui concerne les combustibles fossiles, charbon compris. Résultat : la rente issue des matières premières persiste en partie, avec ce bémol qu’elle s’est réduite compte tenu des conditions tarifaires pratiquées. Mais même entamée, cette manne a permis jusqu’à maintenant de financer à la fois l’effort de guerre, de distribuer des prestations sociales en soutien au pouvoir d’achat et des subventions aux entreprises.
L'inflation et la fragilité du rouble
Coupée des pays occidentaux, la Russie est parvenue à trouver auprès des BRIC un ensemble commercial, politique, financier et monétaire lui offrant une alternative, notamment en matière d’approvisionnement. Si le plan des Occidentaux ne se déroule pas comme prévu, il n’est pas sans impact non plus, et des fissures sont apparues. La substitution des importations occidentales par celles venues d’ailleurs n’est pas parfaite, ce qui crée à la fois des problèmes d’approvisionnement et des tensions sur les prix des importations. En aidant l’Ukraine, le conflit se prolonge et a contraint la Russie à réorganiser totalement son économie autour des besoins de son armée, créant des tensions sur l’offre.
Ces tensions, combinées à la hausse du coût des importations, alimentent l’inflation générale qui dépasse désormais 9%, très loin de la cible de 4% fixée par les autorités monétaires. Signe que la hausse des prix est désormais bien ancrée, l’inflation sous-jacente progresse également. Le gonflement du budget de la défense et de la sécurité (près de 9% du PIB) finit par poser des problèmes d’allocation des ressources et déstabilise les finances publiques.
Enfin, plus la guerre s’enlise, plus le rouble devient sensible au contexte géopolitique. Certes, ses pertes face au dollar restent finalement limitées depuis le début du conflit (environ 16%), mais les récents soubresauts à la suite de l’offensive ukrainienne cet été montrent sa fragilité. Cela a contraint la Banque centrale à relever de 200 points de base ses taux fin juillet pour les porter à 18%.
La Russie est engagée dans un conflit majeur avec l’Occident, et bien que ses digues aient tenu bon, des fissures apparaissent. Les sanctions occidentales semblent devoir être un poison à diffusion lente ; la guerre économique est aussi une guerre d’usure.
Publié le mercredi 11 septembre 2024 . 4 min. 43
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