L’économie tunisienne est dans une impasse : la croissance patine et n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant Covid. C’est le seul pays de la région dans cette situation. Cette faiblesse de l’activité se retrouve dans l’évolution du marché du travail avec un taux de chômage qui ne parvient pas à casser le plancher des 16% et qui évolue même autour de 40% pour l’ensemble des jeunes âgés de 15 à 24 ans. Les diplômés du supérieur ne sont pas épargnés et la fuite des cerveaux (médecins, ingénieurs et autres) prend des proportions inquiétantes. Mais ce ne sont là que des symptômes ou les conséquences d’un pays plongé dans un stress financier extrême lié à un énorme besoin de financement externe. Ces derniers correspondent plus ou moins à la somme d’argent que la Tunisie doit emprunter à l’étranger chaque année pour combler l'écart entre ses dépenses et ses revenus, notamment pour financer son déficit budgétaire et rembourser sa dette.
Lourd fardeau de la dette et risque de défaut de paiement
Au cœur de la problématique, l’empilement depuis des années d’importants déficits budgétaires et une dette à rembourser qui gonfle, avec elle le risque de défaut de paiement. Selon les estimations officielles, les besoins de financement culmineront ainsi autour de 17% du PIB en 2024-2025. Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir à 2022, date à laquelle la Tunisie a subi un double choc. D’abord, l’ensemble des créanciers extérieurs traditionnels du pays s’accordent pour ne plus financer le budget en l’absence d’une thérapie de choc, qui devra être validée par un nouveau programme FMI garantissant la soutenabilité des finances publiques. Puis survient la guerre en Ukraine, un coup terrible pour l’économie tunisienne qui passe par la flambée des prix à l’importation du pétrole et du blé dont le pays est un grand importateur.
L’impact de cette dérive est triple : le déficit du commerce extérieur se creuse jusqu’à atteindre des niveaux historiques ; l’inflation se réveille pour dépasser 10%. Cela reste modéré, mais c’est suffisant pour mordre sur les revenus des ménages et la consommation. Et, si la hausse des prix n’a pas été plus explosive, c’est que le pays dispose d’un système de subventions des produits importés pour contrôler, du moins en partie, l’évolution des prix. Un système extrêmement coûteux pour les finances publiques quand en amont les cours flambent. Le troisième impact de l’embardée des cours des matières premières est donc celui du renchérissement des besoins de financement budgétaires et extérieurs, précisément au moment où les créanciers se sont retirés.
La situation n’est pas nouvelle. Depuis les printemps arabes de 2011 qui ont fait vaciller le pouvoir, les différentes coalitions parlementaires n’ont eu de cesse d’acheter la paix sociale via le système de subventions mais aussi de l’emploi public, avec à la clé le gonflement de la masse salariale publique. Le coût de ces deux postes de dépenses augmenté des intérêts de la dette représente près de 30% du PIB, soit la quasi-totalité des revenus fiscaux. Bref, le budget est en déficit avant même d’intégrer les dépenses opérationnelles et l’investissement public.
Des secteurs porteurs mais insuffisants pour relancer l'économie
Mal embarquée, l’économie tunisienne n’en est pas moins dépourvue d’atouts. Elle possède notamment d’importantes ressources de phosphates, essentielles pour la production mondiale d’engrais. Le secteur agricole est aussi une force. Exportateur incontournable d’huile d’olive, le pays dispose de positions fortes dans les fruits et légumes, les céréales et la pêche. Seule ombre, les périodes de sécheresse se multiplient avec le changement climatique et pèsent sur les rendements. C’est aussi une industrie touristique de premier plan, important pourvoyeur de devises. Les effets de la crise de la Covid sont passés et les visiteurs sont de retour. Un bémol toutefois, son choix de tourisme de masse, notamment les formules « all-inclusive », bénéficie aux Tours opérateurs et à leurs compagnies charters, moins aux opérateurs touristiques locaux et à l’État tunisien. Le pays est aussi un hub régional pour la production de pièces automobiles, de composants électriques et de vêtements, grâce à sa proximité géographique avec l’Europe et à une main-d’œuvre qualifiée et compétitive. C’est aussi un acteur régional de premier plan dans le domaine de l'externalisation des services pour des entreprises étrangères. L’économie tunisienne ne manque pas d’atouts sectoriels mais reste prisonnière de sa vulnérabilité externe et est sur le fil du rasoir du risque souverain. Chaque choc, chaque crise, la rapproche un peu plus du risque de défaut.
Publié le vendredi 25 octobre 2024 . 4 min. 42
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