Beaucoup d’entreprises, et peut-être même la vôtre, sont tentées de proposer des innovations particulièrement ambitieuses. Cela permet de légitimer un surprix, de se différencier par rapport à vos concurrents et de susciter la fierté de vos collaborateurs. À l’inverse, se cantonner aux offres existantes implique que vous allez déplaire aux clients les plus novateurs, que votre avantage concurrentiel sera moindre et que vos collègues seront moins motivés. La tendance naturelle consiste donc à se montrer toujours plus innovant.
Or, selon que l’on se place du point de vue du client ou de celui de l’entreprise, la perception de l’innovation est significativement différente. Comme l’a expliqué John Gourville, professeur à la Harvard Business School, vos clients doutent généralement de la performance de vos innovations. Ils estiment qu’ils n’en ont pas besoin, et ils sont bien souvent satisfaits de l’existant. Lorsque vous devez remplacer les produits et les services auxquels vous êtes habitué, par exemple, votre voiture à essence, vos livres papier ou votre réseau social favori par des nouveautés, par exemple, une voiture électrique, une liseuse électronique ou une nouvelle application, la force de l’habitude fait que vous donnez généralement plus de poids à ce que vous perdez qu’à ce que vous pourriez gagner. Vous risquez de surestimer les inévitables inconvénients de l’innovation (ne serait-ce que l’inconfort d’avoir à réapprendre certains de vos gestes quotidiens) et au contraire à sous-estimer ses avantages. Au total, selon Gourville, les clients minimisent l’intérêt des nouvelles offres dans un facteur trois.
À l’inverse, les entreprises ont tendance à être convaincues de la performance de leurs innovations, à surestimer l’attente du marché pour leurs nouvelles offres, et à dévaloriser l’existant. Remplacer une offre classique par une nouvelle génération de produits, c’est l’occasion pour de plus jeunes managers de contester le pouvoir et la légitimité de celles et ceux qui doivent leur position hiérarchique aux succès passés, et donc de briguer leur place. Les entreprises ont donc tendance à surestimer l’intérêt des clients pour leurs innovations dans un facteur trois.
Au total, les clients sont trois fois plus convaincus de l’intérêt des offres existantes, alors que les entreprises sont trois fois plus convaincues de celui des innovations. Ce décalage, appelé effet x9, explique l’échec de nombreuses innovations, des téléviseurs en 3D aux Google glass.
Selon Gourville, il existe trois réponses à cet effet x9 :
• La première est de lancer une offre tellement supérieure à l’existant (l’ancien patron d’Intel, Andy Grove, disait au moins dix fois meilleure) que les clients l’adopteront. Or, bien peu d’innovations accroissent la performance dans de telles proportions. Parmi les rares exemples, on peut citer le scanner par rapport aux rayons X en radiologie ou les angioplasties par rapport aux pontages en cardiologie.
• La deuxième réponse consiste à supprimer l’offre existante, ce qui ne laisse pas d’autre choix aux clients que d’adopter la nouvelle, quoiqu’ils en pensent. C’est par exemple ce que souhaite faire le parlement européen avec l’interdiction des véhicules à essence à partir de 2035.
• Une troisième solution, moins brutale, consiste à positionner la nouvelle offre dans la continuité de la précédente, afin de ne pas perturber les clients dans leurs habitudes. C’est par exemple ce qu’a fait Toyota avec la Prius, dont la motorisation hybride, transparente pour le conducteur, lui permet de rouler en électrique en toute tranquillité.
Dans tous les cas, l’effet x9 vous encourage à considérer vos innovations avec modestie : partez toujours du principe que vos clients ne les apprécient pas autant que vous ne le croyez.
Publié le vendredi 02 mai 2025 . 3 min. 37
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