Le film d’Inoxtag, Kaizen ne peut manquer d’interroger par son succès, inédit pour un film de montagne. Plus de 18 millions de vue, plus de 100 000 commentaires le plus souvent élogieux et plus de 1,5 millions de « like » sur YouTube, 340 000 spectateurs en salle en deux jours, une diffusion sur TF1 début octobre sont des signes qui obligent à chercher à comprendre ce que ce film révèle du monde où nous vivons.
Documentaire et spectacle, Kaizen s’inscrit dans le secteur des loisirs. Un secteur rentable pour le capital, qui consiste à mettre l’accent sur la consommation, en transformant tout être humain en consommateur, quelle que soit l’utilité sociale de ce qu’il consomme.
Car ce que l’on voit, c’est bien la voie normale de l’Everest transformée en objet de consommation où se pressent 200 personnes qui se suivent en tirant sur des cordes fixes qu’ils n’ont pas posées, pour atteindre un sommet qu’ils seraient incapables de gravir par leurs propres moyens. Ce produit commercial qu’est devenu la voie normale de l’Everest ne peut se vendre que si on offre aux clients une sécurité maximum. D’où les cordes fixes, l’oxygène, le soutien technique, voire l’hélicoptère. C’est pourquoi ce qu’achète (fort cher), le client ce n’est pas seulement un sommet, mais une forte garantie d’en revenir en vie.
Pour l’instant, la garantie de sécurité minimale (et élevée) est tenue. Selon les données de l’Himalayan data base, plus de 300 personnes ont trouvé la mort à l’Everest, soit 1,2% de ceux qui tenté de le gravir. Mais ce pourcentage était de 4,3% pour la période entre 1922, date de la première tentative et 2000 (soit 219 morts) alors que le nombre total de clients a explosé après 2000, ce qui prouve que la sécurité s’est fortement accrue, mais qui réduit d’autant le caractère d’exploit de l’ascension.
Mais le film, loin de mettre l’accent sur la nature commerciale de ce qu’il nous fait voir, sacralise les notions de réussite et d’effort, avec Inoxtag qui personnifie ce système dans lequel le dépassement de soi est érigé en valeur suprême. Il s’inscrit ainsi pleinement dans cette transformation anthropologique qui fait des individus des consommateurs automates. Et quand il exhorte ses followers à l’imiter « selon leurs moyens », il ne s’agit pas que tout le monde puisse gravir l’Everest, mais que chacun se fixe l’Everest qui lui permettrait de développer la philosophie Kaizen, visant à l’amélioration individuelle à partir de petits changements progressifs. On est dans l’idéologie de l’individu face à lui-même qui décide en plein libre-arbitre de gravir son Everest.
Et si votre Everest vous semble riquiqui par rapport au sien, c’est que votre « nature » ne vous permet pas d’en avoir un autre. Finalement le film ne fait que dévider le refrain méritocratique qui justifie son statut social par ce que l’on a décidé librement de faire.
Car c’est simple et Inoxtag nous l’explique à la fin en peu de mots, il suffit de « prendre tout ce temps (celui passé sur le téléphone), pour poser ton téléphone et te dire, moi-aussi je vais faire ». Mais est-ce si simple ?
Il ne se pose pas la question de la raison qui fait que, dès le plus jeune âge, les enfants réclament leur téléphone pour ensuite y passer captivés plusieurs heures par jour. Ou que des parents justifient que leurs enfants en ait un, par le souci qu’ils ont de savoir si tout se passe bien, un souci qui n’existait pas à cette échelle avant l’apparition de ces appareils. L’accaparement du « temps de cerveau disponible » tourne à plein régime et ce n’est pas une évolution naturelle de l’être humain, guidée par sa « nature », mais bien l’effet de politiques commerciales menées par les grandes firmes du numérique.
Avec son film et le message méritocratique qu’il égrène tout du long, Inoxtag s’inscrit parfaitement dans la transformation des personnalités dont le capitalisme a besoin pour continuer à survivre.
Publié le jeudi 23 janvier 2025 . 4 min. 18
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