C’est à partir de 2005 que bifurquent véritablement les trajectoires de l’emploi et du chômage entre France et Allemagne. L’Allemagne devient alors une véritable job machine. Pour en prendre la mesure, il suffit de comparer les trajectoires du taux de chômage. Ce dernier voisinait 8,5% en France alors qu’il culminait à 11,2% de l’autre côté du Rhin en 2005. En 2016, c’est en France qu’il dépasse 10%, tandis qu’il flirte avec les 4% en Allemagne. Et sur cette période, le taux d’emploi allemand va gagner plus de 9 points, tandis qu’il stagne en France. C’est cela qui est le plus saisissant.
Les lois Hartz, la réforme qui a tout changé
Derrière cela, il y a les réformes du marché du travail mises en place sous Schröder, les fameuses lois Hartz. Certes, la plupart des salariés en CDI restent "protégés" par la loi. Et même plus qu’en France. Mais ces réformes libéralisent le marché du travail, notamment pour les entreprises de moins de 10 salariés et pour les CDD. Elles favorisent le travail partiel et notamment les mini-jobs, aux salaires de 400 euros mensuels pour les salariés ou de 1 euro par heure pour les chômeurs de longue durée. Elles durcissent aussi considérablement les conditions d’indemnisation du chômage avec la loi "Hartz IV", avec une forte réduction de la durée d’indemnisation du chômage. Tout cela étant adossé à un renforcement des contrôles et à une obligation plus stricte d’accepter des propositions d'emploi.
L’impact de ces réformes reste encore débattu. Certains évoquent la baisse de la population en âge de travailler qui aurait facilité les choses. Regardons les chiffres. La population de 15-64 ans a décru au rythme de -0,3% l’an de 2005 à 2017, quand elle augmentait de 0,2 % l’an en France.
Pourtant ce demi-point d’écart est loin de tout expliquer. Car l’Allemagne n’en a pas moins créé beaucoup plus d’emplois que la France : 4,3 millions contre 1,3 million en France. Pour ramener à des taux de croissance annuelle, cela fait une moyenne de 0,9% l’an pour l’Allemagne et de 0,4% pour la France.
La moitié de la hausse de l'emploi recouvre du temps partiel
Alors, il y a bien sûr tous ces petits jobs, mini ou micro jobs de 1 à 400 euros encouragés par les lois Hartz. Mais il est très difficile d’établir leur vraie contribution, car beaucoup sont pratiqués en cumul d’une autre activité, ou en multi-activité. Ce qui est certain c’est que la moitié de la hausse de l’emploi sur la période recouvre de l’emploi à temps partiel. L’emploi a donc été morcelé. Comme en témoigne aussi le fait que le volume d’heures de travail progresse moins vite que l’emploi (0,6% l’an contre 0,9%).
Ce que l’on constate aussi, c’est la montée concomitante des travailleurs pauvres : 22,5% des salariés gagnent moins de 2/3 du salaire horaire médian en 2014 en Allemagne, contre 8,8% en France, avec un salaire médian assez proche de part et d’autre du Rhin. Et même après transfert, cette inclusion à marche forcée laisse des traces, puisque le taux de pauvreté est passé de 12,2% en 2005 à 16,7% en 2015, et que les inégalités se sont globalement creusées.
La success story allemande est indissociable de sa croissance
L’Allemagne a donc résolu son problème de chômage mais non celui de la dualisation du marché du travail. Comme en France, elle a opté pour une flexibilité à deux vitesses et l’a poussée plus loin.
Néanmoins, on ne peut ignorer un autre élément qui contribue à la success story controversée allemande. Sur la période, c’est surtout l’écart de croissance entre France et Allemagne qui fait la différence. De 2005 à 2016, la croissance allemande est de 1,5% l’an, contre 0,9% en moyenne en France, alors même que la population en âge de travailler régresse.
Si je ramène le PIB à cette population disponible pour travailler, je me rends compte alors que le différentiel est considérable. Le PIB rapporté à la population de 15-64 ans a crû au rythme de 1,7% en Allemagne, contre 0,7% en France. 1 point d’écart ! C’est considérable. La réussite allemande sur le front du chômage ne peut donc être dissociée de la restauration de sa compétitivité.
Alors gare à la mauvaise imitation de l’Allemagne. Ne prendre que Hartz, c’est le risque de fragiliser la cohésion et de dégrader l’emploi, sans garantie de restaurer notre compétitivité. Pour cela il faudra déployer beaucoup plus de moyens.
Olivier Passet, Faut-il imiter l'Allemagne pour faire baisser le chômage ?, une vidéo Xerfi Canal.
Publié le mardi 23 mai 2017 . 5 min. 09
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