C’est un chiffre qui frappe les esprits. : 65 à 70 % des embauches se font en France sur des CDD de moins d’un mois. Moins de 15 % sur des CDI. Et ces embauches courtes se concentrent sur une petite portion de la population, moins de 10 %, qui se font embaucher à la tâche, de façon intermittente. Avec deux conséquences coûteuses pour la collectivité.
1/Cette partie de la population peine à consolider un temps plein, et n’est plus protégée, de fait par le smic, à échelle d’une année. Cela oblige à mobiliser les aides sociales, pour atteindre un revenu décent.
2/ Les probabilités de sortie de ce cercle infernal, sont faibles. Les personnes sont piégées sur ces emplois à forte rotation. Il n’y a aucune incitation pour l’entreprise à investir en capital humain sur cette frange d’emploi à fort turn-over.
3/ Les probabilités de sortie vers le chômage sont élevées pour cette catégorie d’emploi. Cela coûte cher à l’assurance chômage. Et, in fine, cela revient de surcroît à opérer un transfert des entreprises dont l’emploi est stable, vers celles dont l’emploi est le plus instable.
Adapter le principe du pollueur-payeur
Bref, cet ensemble d’externalités négatives pour la collectivité, explique le souhait de vouloir limiter le recours à ces CDD ultra-courts. C’est de ce constat, et d’un dispositif existant aux États-Unis l’« experience rating », qu’est née l’idée en France d’un bonus-malus, présente par exemple dans un rapport du CAE, Blanchard Tirole de 2003 « Protection de l'emploi et procédures de licenciement ».
L’idée est simple sur le papier : faire contribuer davantage à l’assurance chômage, les entreprises qui rompent le plus fréquemment leurs contrats… selon le principe du pollueur-payeur. Il s’agit de responsabiliser l’entreprise sur le coût qu’elle occasionne pour la collectivité. François Hollande avait déjà incorporé cette proposition à son programme. Et la loi sur la sécurisation de l'emploi de 2013 a déjà introduit, une hausse des cotisations patronales sur les contrats de moins de 3 mois….sans effet tangible. E. Macron a repris le projet dans son programme présidentiel. Mais sans suite concrète pour l’instant, le gouvernement ayant botté en touche lors de la réforme de l’assurance chômage de 2018.
Et pour cause, le sujet est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Ces fameux contrats courts, de moins d’un mois ou trois mois se concentrent sur quelques secteurs bien spécifiques : la construction, le transport et l’entreposage, le commerce, l’hôtellerie et la restauration, l’audio-visuel, le médico-social. Chaque secteur a un business model spécifique, et il est abusif de parler de choix discrétionnaire de l’entreprise en faveur du CDD court. Les secteurs mentionnés sont confrontés à de la saisonnalité forte, à des cycles courts de production, à de fortes discontinuités. Le CDD répond a des besoins fonctionnels. L’intermittence est dans l’ADN de ces secteurs, et les taxer ne modifiera pas le besoin à des formes intermittentes de travail.
Le retour du travail à la tâche
C’est vrai. Mais il ne faut pas se voiler la face. Les CDD deviennent de plus en plus courts, parfois de moins d’une journée. Et c’est la hausse de la part des CDD très courts au sein des CDD, et l’accélération du turnover, qui relève de l’anomalie ou de l’abus. Cette tendance est bien réelle et difficile à expliquer par des causes fonctionnelles. Il s’agit bien d’un retour du travail à la tâche. Et ce retour traduit aussi une forme de démission de l’entreprise en matière de gestion des ressources humaines. Un métier, c’est un assemblage de tâche. Et c’est un des rôles clés de l’entreprise que de bâtir des métiers, de les profiler et de les faire évoluer. Réduire un métier à un tâche, c’est cela qui produit de l’intermittence extrême. Et c’est bien cela qu’il faut taxer, plus que l’ensemble des cdd courts et des employeurs qui y recourent par principe.
Publié le jeudi 5 juillet 2018 . 4 min. 34
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