Dans cette troisième séquence, je voudrais expliquer pourquoi il n’y a pas à choisir entre les deux grandes voies nous permettant de faire face aux défis écologiques : l’efficacité (du côté de l’offre) et la sobriété (du côté de la demande). Les deux sont complémentaires et indispensables.
La recherche d’efficacité est l’ADN même de l’industrie. Etre efficace, c’est produire plus et mieux avec moins : moins d’énergie, de matières premières, de ressources en général, etc. Évidemment, le premier grand enjeu est de passer de l’efficacité à l’éco-efficacité, intégrant les prélèvements et les rejets dans la nature considérée comme gratuits, et donc ignorés dans le calcul. Il faut aussi considérer l’ensemble du cycle de vie des produits, du berceau à la tombe, comme on dit quelquefois. Sur ces points, il reste beaucoup à faire, notamment parce que notre économie reste désespérément linéaire : on prélève, on transforme, on consomme et on jette. Ceci dit, nos économies n’ont cessé, depuis deux siècles au moins, de faire des progrès spectaculaires. En France par exemple, le PIB par tête a augmenté de 30 % depuis 1990, les émissions ont baissé de près de 30 %, même en intégrant les émissions cachées dans nos importations. Beaucoup de techno-optimistes de la croissance verte s’en tiennent là, fondant tous leurs espoirs dans ces gains d’efficacité ;
Or il y a là une illusion et il faut apporter un grand bémol à cet optimisme. C’est que l’essentiel des gains d’efficacité est en réalité mangé par l’augmentation de consommation, ce qu’on appelle l’effet Jevons ou effet rebond, et aussi par un deuxième phénomène, beaucoup moins souligné, qui est l’augmentation incontrôlée de sophistication technologique de nos biens.
Le mécanisme de l’effet rebond est archi-simple : les produits sont moins couteux, donc on en consomme plus, parfois beaucoup plus. C’est vrai dans pratiquement tous les domaines. Le transport aérien consomme beaucoup moins d’énergie au voyageur-kilomètre. Résultat : les prix baissent et la demande explose. L’éclairage est un champion : une LED est 100 000 fois plus efficace que les premières lampes d’Edison. Résultat : on voit la terre éclairée depuis l’espace. Loi de Moore aidant, le numérique fait aussi des gains gigantesques d’efficacité. Résultat : avec les réseaux sociaux, les vidéos, et demain l’IA, les consommations explosent et l’impact écologique ne cesse de croitre.
Il faut donc impérativement un contrepoids du côté de la demande, autrement dit de la sobriété. Le terme est récemment entré en force dans le débat public ; mais sa définition reste floue. On peut à mon avis distinguer quatre niveaux.
Le premier concerne la conception même des produits, la demande étant comme chacun sait largement formatée par le marketing des offreurs. La trajectoire absurde est celle qu’illustre Biden lorsqu’il promeut l’électromobilité en conduisant fièrement devant la presse un monstrueux Hummer. La conception de produits plus simples, réparables, peu couteux à l’usage, débarrassés de fonctionnalités inutiles est ici le sujet-clé, trop peu abordé.
Le deuxième niveau est celui des comportements individuels de nos modes de vie et de consommation. Ce niveau est souvent le seul mis en avant quand on parle de sobriété. Il monopolise le débat, souvent moralisant, en faisant abstraction des inégalités sociales considérables. En réalité, il ne peut régler qu’une petite partie du problème : de l’ordre du quart ou du tiers, au mieux, si chacun est très vertueux, etc.
Le troisième niveau, fondamental mais peu abordé, est celui de la sobriété collective, que j’appelle systémique. L’essentiel de nos gaspillages découle en effet de notre organisation collective défaillante, par exemple en matière d’aménagement du territoire, de tarifications, d’équipements collectif. C’est le chantier prioritaire.
J’ajoute un quatrième niveau, que j’appelle structurel, celui qui découle de nos priorités économiques et sectorielles globales. On peut retrouver ici la piste de l’économie humano-centrée, qui propose un horizon de société structurellement plus sobre, de par la nature même des activités.
Publié le vendredi 11 octobre 2024 . 5 min. 40
Les dernières vidéos
Energie, Environnement


Les dernières vidéos
de Pierre Veltz


LES + RÉCENTES



LES INCONTOURNABLES

