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L'émergence d'un capitalisme financier monopiliste

Publié le jeudi 24 mai 2018 . 8 min. 26

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Les quinze dernières années ont été témoins d’un phénomène aux conséquences proprement extraordinaires : celui de la rencontre du monde de la finance et du monde des entreprises numériques à vocation globale, dont la caractéristique économique principale est de connaître des rendements croissants (les marges augmentent avec les volumes).

 

Partons des faits. Les sept capitalisations boursières les plus importantes du monde sont toutes celles  d’entreprises ayant ces caractéristiques : Apple : 850 milliards de dollars, Google (Alphabet) : 720 milliards, Amazon : 700 milliards, Microsoft : 680 milliards, TenCent : 520 milliards, Alibaba : 470 milliards, Facebook : 460 milliards.

 

Prenons l’exemple d’Amazon. Le géant du commerce en ligne affiche aujourd’hui une valorisation boursière de 700 milliards de dollars représentant, peu ou prou, 240 fois ses bénéfices annuels et 4 fois son chiffre d’affaires. Dans le monde de la finance traditionnelle, c’est-à-dire s’appliquant à des entreprises connaissant des rendements décroissants, une société générant un profit de 3 milliards de dollars pourrait valoir, selon ses perspectives de croissance, entre 40 et 90 milliards de dollars. Mais Amazon vaut 700 milliards…

 

Cette valorisation n’est pas le signe d’une exubérance irrationnelle. Elle répond, au contraire, à une rationalité forte qui est celle de la rencontre de la finance et d’entreprises à vocation mondiale connaissant des rendements croissants.

 

Le processus se déroule en deux temps :

Dans un premier temps, le financier-investisseur apporte à l’entreprise les capitaux nécessaires à son développement en inversant son mode opératoire habituel : au lieu d’injecter 10 dans une entreprise valant 100 en échange de 10% de son capital, il va injecter 10 dans une entreprise en échange du 10% du capital et décider, de ce fait, que l’entreprise vaut 100. Autrement dit, là où, dans le monde habituel, la valeur de l’entreprise conditionnait le montant du financement, la logique est ici inversée : le montant du financement conditionne la valeur de l’entreprise.

 

Dans un deuxième temps, l’investisseur valorise l’entreprise qu’il vient de financer à un niveau déconnecté des paramètres habituels : il accepte de payer un prix extrêmement élevé pour une entreprise réalisant des pertes (par exemple Uber) ou des profits faibles (par exemple Amazon) car le seul critère qui compte est celui du développement le plus rapide possible d’un modèle d’affaires de nature monopolistique où le gagnant raflera la mise. Ce faisant, le financier est rationnel car il intègre le caractère auto-réalisateur de cette façon de procéder. Le fait de doter ces entreprises de moyens considérables dès leur lancement leur permet de réaliser leurs ambitions monopolistiques mondiales : ce n’est pas parce qu’elles sont monopolistiques que ces entreprises valent cher, c’est parce qu’elles valent cher du fait des financements qui leur ont été apportés qu’elles peuvent devenir des monopoles. Ainsi Uber, qui n’est pas cotée en Bourse, a levé à ce jour 13,5 milliards de dollars et a une valeur estimée à 51 milliards.

 

Au passage, les valorisations « hors de proportions » de ces entreprises les dotent d’une monnaie (leur propre action) qui leur permet d’acquérir leurs concurrents, eux-mêmes souvent survalorisés, sans qu’il leur en coûte. Elles leur confèrent également un rapport de force extraordinairement favorable dans leurs relations commerciales. Ces deux phénomènes participent bien sûr également de la construction du monopole.

 

Les économistes appellent « monopoliste » celui qui instaure ou favorise l’instauration d’un monopole. On voit que, dans cette rencontre de la finance et du monde des entreprises aux rendements croissants, le financier-investisseur devient un monopoliste : il génère par son action les monopoles qui lui offriront demain des opportunités de plus-values financières ou de rentabilité proprement extra-ordinaires.

 

Mais, si cette façon de se développer est rationnelle pour les entreprises concernées et pour leurs financiers, elle n’est pas sans conséquences pour le reste de l’économie.

 

Reprenons l’exemple d’Amazon :

Pour le fonctionnement d’une économie fondée sur la concurrence, le développement d’un monopole est considéré comme néfaste. C’est, on le sait, la raison pour laquelle les autorités de la concurrence contrôlent la constitution de monopoles, d’oligopoles ou de cartels et qu’elles interviennent régulièrement par le biais de sanctions ou, par le passé du moins, en allant jusqu’au démantèlement d’entreprises devenues monopolistiques.

 

La question clef, dans le cas d’espèce, consiste donc à se demander si Amazon bénéficie aux consommateurs ou non. La réponse à cette question dépend de la personne à laquelle on la pose :

 

• Amazon et ses défenseurs expliquent, en cohérence avec la réalité effectivement observée aujourd’hui, que l’entreprise pratique des prix bas qui bénéficient aux consommateurs. Partant de ce constat, ils concluent qu’il n’y a pas de sujet pour les autorités de la concurrence.
• Mais la Bourse, dont la fonction est de transformer en prix une anticipation de marges et de profits futurs, raconte, elle, une toute autre histoire : celle d’un géant monopolistique qui a vocation à voir ses marges multipliées par un multiple important afin de justifier un jour sa valeur boursière. Les investisseurs valorisent Amazon comme un monopole en position d’imposer à l’avenir ses prix aux consommateurs.

 

Le dilemme est donc le suivant :

 

1. S’il n’y a effectivement pas lieu de craindre qu’Amazon porte un jour préjudice aux consommateurs du fait de sa position de monopole, alors la valorisation boursière actuelle d’Amazon est injustifiée et devrait être divisée par 10. 
2. Si, par contre, les boursiers ont raison de valoriser Amazon à 700 milliards de dollars, alors il est flagrant que la pratique de cette entreprise monopolistique sera à l’avenir préjudiciable aux consommateurs et les autorités de la concurrence devraient se saisir du dossier.

 

En résumé, le cours de Bourse d’Amazon nous dit deux choses :

 

1. Tout d’abord que l’entreprise est en train de construire un monopole et qu’elle augmentera ses prix de façon importante quand ce monopole sera fini d’établir.
2. Ensuite, que les investisseurs ne croient pas à la réaction des autorités de la concurrence.

 

Mais si le débat sur les méfaits des monopoles se concentre généralement sur les consommateurs, l’économie réelle pâtit dès aujourd’hui du développement de ces monopoles du fait de l’étouffement de l’innovation qu’il induit.

 

Ainsi, il est devenu aujourd’hui extrêmement difficile de financer en capital risque une initiative de e-commerce du fait que la place est déjà prise par Amazon. Compte-tenu de la dynamique actuelle, les futures sociétés de e-commerce seront condamnées à être étouffées ou, dans le meilleur des cas, vassalisées en devenant membre sous-traitant de la plate-forme Amazon et en partageant, au passage, leurs données. Or, comme on le sait, les données sont la source principale de valeur dans le monde numérique.

 

Par ses effets induits, il est patent que la valorisation inflatée des géants du numérique écrase dès aujourd’hui la concurrence, l’innovation et l’entrepreneuriat et qu’elle sera préjudiciable demain aux consommateurs.

 

Quand il rencontre une entreprise à rendements croissants, le financier devient monopoliste et cela nuit au bon fonctionnement de l’économie.


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