
Réapprendre à diriger à l’heure des machines pensantes
À l’heure où l’intelligence artificielle et l’automatisation s’imposent dans nos vies et nos entreprises, une question essentielle n’en finit plus de nous terrifier : quelle place reste-t-il à l’humain ? Dans un monde où des outils comme ChatGPT promettent d’accélérer toujours plus la réflexion et la décision, le risque est de se retrouver piégés dans une course effrénée à l’efficacité technologique. Or, diriger, c’est bien plus que suivre le rythme imposé par les machines. Cela exige de ralentir, de comprendre, et de revenir à des gestes simples pour réinventer nos modes d’action.
Dans ce contexte, l’intelligence manuelle — cette capacité à "mettre les mains dans le cambouis" pour résoudre des problèmes concrets — pourrait bien offrir un précieux contrepoids. C’est ce qu’on peut déduire des réflexions croisées d’un Matthew Crawford avec son Éloge du carburateur, d’un Richard Sennett avec son magnifique Ce que sait la main, d’un Paul Virilio avec son Vitesse et politique ou d’un Jacques Ellul et son système technicien. Ensemble, ils nous offrent un précieux contrepoint : ils nous rappellent que l’intelligence manuelle, lente et empirique, est essentielle.
De l’accélération à l’aliénation : la critique de Virilio et Ellul
Paul Virilio a alerté sur les dangers de la vitesse, qui ne laisse plus de place à la réflexion, tandis que Jacques Ellul a dénoncé la logique autonome du système technicien, qui transforme tout progrès en nécessité incontrôlable. Le carburateur de Matthew Crawford, la main de Richard Sennett deviennent alors des symboles d’une intelligence alternative. Réparer, bricoler, manipuler, c’est ralentir pour comprendre, c’est réintroduire de l’humain dans un monde dominé par l’abstraction algorithmique. Face à des outils comme ChatGPT, qui standardisent et accélèrent toujours davantage, ces gestes artisanaux deviennent des actes de résistance.
La compétence, une rébellion contre la technique pure
Ellul nous met en garde : le système technicien valorise la spécialisation et l’efficacité au détriment de la polyvalence et du savoir pratique. Pourtant, diriger aujourd’hui nécessite bien plus que de maîtriser des outils technologiques. Crawford et Sennett nous rappellent que la compétence repose sur l’expérience, sur une compréhension profonde des mécanismes, qu’ils soient mécaniques ou organisationnels. À l’instar de l’artisan face à son moteur, le vrai dirigeant de demain pourrait bien être celui qui n’aura pas oublié qu’il faut toujours "mettre les mains dans le cambouis" pour ajuster, réparer, improviser.
Ralentir, comprendre, agir : une nouvelle éthique
À l’heure de ChatGPT, l’éloge du carburateur, de la main et du ralentissement devient un manifeste pour une nouvelle éthique managériale. Crawford, Sennett, Virilio et Ellul convergent pour nous rappeler que le progrès technologique nous déshumanise. Diriger vraiment, c’est pourtant comprendre, comme l’artisan, que chaque geste a du sens et qu’il revient à l’humain de lui en donner un. Cultiver cette intelligence alternative, c’est peut-être plus que jamais ce qui fera la vraie différence.
Références
• Crawford, M. B. (2010). Éloge du carburateur : Essai sur le sens et la valeur du travail. Paris : La Découverte.
• Ellul, J. (1977). Le système technicien. Paris : Calmann-Lévy.
• Sennett, R. (2010). Ce que sait la main : La culture de l'artisanat. Paris : Albin Michel.
• Virilio, P. (1977). Vitesse et politique. Paris : Galilée.
Publié le vendredi 14 février 2025 . 4 min. 05
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