Saviez-vous que derrière la voix de crooner de Sinatra, les mélodies des Beatles, les riffs des Stones s’annonçaient à chaque étape un nouvel ordre sociétal ? Car la musique, loin d’être un simple divertissement, est une force annonciatrice des mutations économiques et sociales. Prenons quelques phases significatives de la musique populaire en exemple :
Dans les années 50, Sinatra ne chantait pas seulement l'amour : il était le messager d’une nouvelle ère de consommation. Sa voix suave accompagnait l’Amérique d’après-guerre vers l’abondance matérielle. Il annonçait le rêve américain où le bonheur s’incarnait dans la possession, le confort et la consommation de masse.
Au début des années 60, les Beatles surgissent et révolutionnent la pop-music. Leur musique n’est pas seulement celle de l’insouciance adolescente qui chante She Loves You yeah yeah yeah; elle donne naissance à une nouvelle catégorie sociale : le teenager. Ces jeunes, jusque-là invisibles, s’affirment désormais comme une force autonome, revendiquant leurs propres désirs, leurs propres valeurs, mais aussi l’irruption des jeunes dans une société de consommation de masse.
Les Rolling Stones radicalisent ce mouvement. Leur I Can’t Get No Satisfaction n'est pas qu'une complainte de frustration sexuelle ; c'est le cri de révolte d'une jeunesse qui se sent piégée par un système oppressant, symbolisée par leur tube Street Fighting Man. Là où les Beatles prônaient l’amour et la paix, les Stones crient la révolte. Ils annonçaient déjà les révoltes à venir, de l'insoumission à l'anarchie, cristallisée par les Sex Pistols et leur fameux No Future, comme Nirvana incarnera le vide de sens d’une ère post-industrielle où la société du spectacle ne connaît plus que l’argent roi.
Dans une dimension parallèle, fin des années 1970 puis 80 émerge le RAP. Il porte en lui la voix des rejetés du système. Public Enemy, NWA, mais aussi NTM en France, prophétisent la colère des quartiers délaissés, l’injustice raciale, les fractures sociales. Le hip-hop devient l’écho des marginalisés, mais aussi une force disruptive. Aux Etats-Unis, Jay-Z, Kanye West et autres Eminem, Snoop Dog ou Dr Dre annoncent une société où la révolte devient elle-même le business, où la réussite individuelle, au prix souvent de la violence, devient un objectif assumé. C’est cette philosophoe qu’importera en France Booba. Le capitalisme récupère tout, et la rébellion devient la stratégie disruptive pour faire du business et de l’argent. Paradoxalement, l’idéologie libertarienne et Elon Musk ne sont pas loin.
Que nous apprend alors le succès vertigineux aujourd’hui de Taylor Swift ? D’album en album, ses chansons content un monde tout entier émotionnel dans une une ère ultra-connectée. Swift prophétise ainsi un futur où l’identité se construit et bien sûr se vend à travers la maîtrise parfaite de l'image, où la frontière entre l’authenticité et la mise en scène de soi se dissout, où la puissance stratégique se mesure désormais à la capacité d’embarquer dans « son » propre monde.
Ainsi, de Frank Sinatra à Taylor Swift, en passant les Beatles et Jay-Z, la musique populaire n’a jamais cessé de devancer son époque. Comme le dit Jacques Attali dans Bruits, elle est plus qu’un miroir du monde : elle est la prophétie des mutations sociales et économiques à venir. Parce que dans chaque note, chaque riff, chaque beat, c’est l’avenir de la société qui résonne.
Source :
Attali, J. (1977). Bruits. Essai sur l'économie politique de la musique. Fayard, PUF. URL : https://www.fayard.fr/livre/bruits-9782213609508/
Publié le vendredi 29 novembre 2024 . 5 min. 12
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Jean-Philippe Denis 29/11/2024
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