Les directions hypocrites : un modèle dépassé

La recherche en management a longtemps valorisé une forme d’hypocrisie organisationnelle comme stratégie de survie. Nils Brunsson, père du concept, a montré que, face à des attentes contradictoires, les dirigeants disent une chose, en font une autre, et pensent encore autrement. Ce modèle, bien que surprenant, semblait la seule voie pour évoluer dans des environnements complexes où répondre à toutes les pressions à la fois était impossible. Le sociologue Erving Goffman, dans The Presentation of Self in Everyday Life, avait démontré dès la fin des années 1950 que chacun portait un masque pour protéger ses intentions et adapter son comportement selon les circonstances, gérant ainsi les impressions données aux autres.

Pendant longtemps, ces théories ont donc justifié l’idée que les dirigeants pouvaient dire ce que les parties prenantes voulaient entendre, tout en ajustant leurs actions selon les besoins immédiats. Ce masque managérial offrait une flexibilité bienvenue, permettant de gérer les contradictions tout en maintenant une apparence de cohérence. L’hypocrisie organisationnelle n’était pas perçue comme de la duplicité, mais comme une adaptation stratégique face à des demandes jugées irréconciliables.

Cependant, cette époque est révolue depuis l’avènement des réseaux sociaux, de la communication en temps réel et de l’information en continu. Aujourd’hui, chaque décision, chaque mot peut être scruté et partagé mondialement en quelques secondes. Un mot malheureux ou un tweet ancien peut soudainement resurgir et provoquer une crise. On ne compte plus les exemples de scandales.

Les incohérences entre discours et actions sont désormais visibles immédiatement, les masques managériaux ne protègent plus. Avec l’arrivée des fake produits par les IA génératives, le phénomène s’amplifiera de manière exponentielle.

La confiance, ce capital immatériel bien fragile, repose désormais sur une cohérence absolue entre les discours et les actes. Dans un monde où tout se voit, où tout se sait, où rien ne s’oublie, fini de jongler avec les masques et les contradictions comme autrefois.