
Les faits sont têtus, mais les raisons sont souvent invisibles. En stratégie, se limiter aux causes apparentes sans explorer les dynamiques sous-jacentes condamne à répéter les erreurs. Les performances – ou leur absence – se jouent souvent dans l’incapacité à saisir ces mécanismes invisibles.
Le piège des explications superficielles
Prenons l’exemple de Meta (anciennement Facebook), confrontée à la baisse de popularité de ses plateformes auprès des jeunes générations. Les causes apparentes – montée de concurrents comme TikTok ou saturation du marché – sont régulièrement évoquées. Pourtant, comme l’illustrent les travaux de Mary Tripsas et Giovanni Gavetti dans le Strategic Management Journal, l’inertie cognitive peut jouer un rôle majeur. Chez Meta, la conviction que les utilisateurs valorisaient avant tout la connexion sociale a freiné l’exploration de nouveaux usages axés sur la créativité et l’expression individuelle, des besoins sur lesquels TikTok a capitalisé.
Au-delà des causes : débusquer les véritables raisons
Hervé Laroche et Jean-Pierre Nioche, dans un article majeur de la Revue française de gestion, expliquent que les dirigeants interprètent les enjeux stratégiques à travers leurs « cartes cognitives », façonnées par l’histoire et les succès passés. Ces représentations mentales peuvent devenir des entraves. Je prendrai ici l’exemple de Meta. La persistance d’un modèle publicitaire centré sur les interactions sociales a empêché l’émergence d’une stratégie plus adaptée à un public en quête d’expériences immersives et individualisées, comme celles proposées par le métavers ou les formats courts.
Un apprentissage contraint par l’inertie cognitive
L’inertie cognitive freine l’adoption de nouveaux paradigmes. Bien que Meta investisse dans des innovations prometteuses, comme le métavers, ces initiatives peinent à convaincre en raison de croyances enracinées dans un modèle historique. Les efforts internes pour réinventer l’expérience utilisateur se heurtent souvent à une direction attachée à ses fondamentaux publicitaires.
Conclusion : la lucidité comme clé stratégique
En stratégie, il est tentant d’expliquer un problème par des causes immédiates : concurrence accrue, contexte économique défavorable ou évolution des attentes des consommateurs. Mais ces causes masquent parfois des raisons systémiques. La baisse de fréquentation d’une grande enseigne, par exemple, n’est pas seulement due au commerce en ligne, mais aussi à un modèle obsolète centré sur le prix.
Interroger les évidences, adapter ses cartes mentales et comprendre les systèmes sous-jacents sont des leviers indispensables pour éviter de traiter les symptômes sans s’attaquer à la maladie. Ainsi, la clé réside dans la capacité à transformer non seulement les stratégies, mais aussi les cadres mentaux qui les sous-tendent.
Références :
• Laroche, H., & Nioche, J. (2006). L'approche cognitive de la stratégie d'entreprise. Revue française de gestion, 160(1), 81-105. https://doi.org/10.3166/rfg.160.81-108.
• Tripsas, M., & Gavetti, G. (2000). Capabilities, Cognition, and Inertia: Evidence from Digital Imaging. Strategic Management Journal, 21(10/11), 1147–1161. http://www.jstor.org/stable/3094431
Publié le mardi 17 décembre 2024 . 3 min. 35
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