Les chercheurs, comme les entreprises, évoluent souvent dans des cadres rigides. Pour publier, il faut suivre des formats standardisés, presque immuables. Dans son essai Libérez l’article ! Propositions pour une simplification des conventions d’écriture scientifique publié dans la revue M@n@gement, Hervé Laroche, professeur émérite à ESCP Business School, soulève une question essentielle : en suivant aveuglément des règles prédéfinies, n’avons-nous pas oublié la liberté de penser et de créer ? Il appelle à repenser ces conventions afin de stimuler la créativité et de refléter la complexité du réel.
Dans le monde académique, la structure de l’article scientifique – introduction, revue de la littérature, méthodes, résultats, discussion – est devenue un carcan. Si elle rassure auteurs et évaluateurs, elle impose une trame figée qui déforme la réalité de la recherche. Les découvertes ne naissent pas d’une quête linéaire vers une solution prévisible. Tous les chercheurs le savent : la science avance par détours, imprévus et tâtonnements. Pourquoi alors s’enfermer dans un cadre qui réduit cette richesse ?
Comme l’entreprise, la science doit embrasser la complexité. Pourtant, les articles semblent maîtrisés de bout en bout, avec des questions posées dès le départ et des réponses attendues en conclusion. Laroche montre que cette rigidité pousse les auteurs à modeler leurs récits pour satisfaire les attentes des pairs et des éditeurs. Cela crée un décalage entre le travail réellement accompli et la version publiée. Ce format, loin d’être anodin, finit par appauvrir la diversité des perspectives et étouffer la nouveauté.
Que ce soit dans le monde académique ou en entreprise, il est urgent de réconcilier la forme et le fond. Donner aux chercheurs la liberté d’organiser leurs idées hors des structures classiques leur permettrait de mieux rendre compte de la complexité de leurs travaux. Plutôt que de se plier à un schéma figé, Laroche propose de se concentrer sur six éléments clés : une question, un cadre théorique, des données, des méthodes, des concepts et des résultats. En combinant librement ces éléments, les auteurs retrouveraient l’espace nécessaire pour exprimer toute la richesse de leurs idées.
Pour Laroche, il ne s’agit pas de renverser toutes les pratiques académiques ni de prôner l’anarchie intellectuelle. Mais permettre une plus grande flexibilité dans l’écriture ouvrirait la voie à des récits plus authentiques et inspirants. L’article scientifique pourrait devenir un véritable terrain d’exploration, où les idées fleurissent sans être immédiatement figées par des conventions rigides. Créativité et innovation, tant académiques que managériales, ne peuvent émerger que dans un environnement valorisant la liberté d’expression intellectuelle.
Cet appel à simplifier l’écriture scientifique va bien au-delà des journaux académiques. Il invite à repenser nos manières de produire et de partager le savoir. Pour les chercheurs comme pour les dirigeants, il est temps de sortir des cadres trop étroits et d’embrasser pleinement la complexité. Libérer l’article, c’est aussi libérer la pensée.
Références : Laroche, H. (2024). Libérez l’article ! Propositions pour une simplification des conventions d’écriture scientifique. M@n@gement, 27(2), 103-120
Publié le samedi 14 décembre 2024 . 3 min. 59
Les dernières vidéos
Recherche en gestion
Les dernières vidéos
de Jean-Philippe Denis
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES