Soyez créatif tout en respectant des procédures strictes. Innovez sans déstabiliser. Dirigez fermement tout en étant empathique. Ces injonctions contradictoires forment un casse-tête pour ne pas dire une torture mentale pour les dirigeants et les managers. Pour les affronter, oubliez les manuels de management classiques ; ils ne vous sauveront pas.
C'est ici qu’il faut faire entrer en scène Paul Watzlawick, maître de l'école dite de « Palo Alto ». Pour lui, face à l'injonction paradoxale, la solution ne réside pas dans une approche traditionnelle, mais dans le "décadrage" : un art subtil qui consiste à pulvériser les règles du jeu pour les redéfinir à son avantage.
Prenons un exemple concret de décadrage en stratégie d'entreprise : Le dilemme du marché saturé. Le problème est le suivant : une entreprise se trouve sur un marché saturé, où les marges sont de plus en plus faibles, et la concurrence est féroce. La tentation est de baisser les prix pour rester compétitif, ce qui peut mener à une course vers le bas. Le décadrage maintenant : au lieu de suivre cette stratégie destructrice, l'entreprise peut explorer un modèle économique différent, introduire un modèle d'abonnement ou de service premium qui offre des avantages exclusifs, transformant ainsi la relation avec le client et ajoutant de la valeur là où les concurrents ne peuvent pas suivre. Ce changement de cadre permet non seulement d'échapper à la guerre des prix, mais aussi de renforcer la fidélité des clients et d'augmenter les marges.
Le véritable objectif du décadrage est de briser le cercle vicieux des exigences contradictoires. Watzlawick l'illustre avec l'exemple du nœud gordien : quand une situation semble insoluble, il ne faut pas perdre de temps à tenter de la démêler, il faut la trancher. Dans le cadre professionnel, cela signifie redéfinir les priorités, modifier les critères de succès, remettre en question les objectifs eux-mêmes. Le décadrage devient alors non seulement une stratégie de survie, mais une véritable force de transformation.
Adopter le décadrage comme stratégie, c’est refuser de jouer selon les règles établies et devenir un maître dans l'art de les redéfinir. C'est accepter de changer de jeu, faire de la créativité et de l'audace non plus des risques, mais des atouts essentiels. Dans ce contexte, diriger c’est bien plus que gérer des ressources ; c’est devient créateur de nouvelles réalités. Il ne s'agit plus de satisfaire à tout prix des exigences impossibles, mais de redéfinir ce que signifie réussir. Paradoxalement, c'est en se libérant des contraintes initiales que l'on parvient à les transcender.
Finalement, maîtriser le décadrage, c’est posséder l'arme ultime pour surmonter ce que les autres considèrent comme insurmontable. En adoptant l'art du décadrage à la manière de Watzlawick, on développe une compétence fondamentale : celle de transformer des paradoxes, qui peuvent rendre fous, en opportunités d'innovation. C’est oser reposer la question « fait-on les choses qu’il faut » (« doing the right things ») plutôt que de s’épuiser à se demander comment faire les choses comme il faut (« doing the things right »).
Face aux exigences contradictoires, la solution n'est pas de choisir, mais de transcender. En un mot : régner en décadrant.
Références
Watzlawick, P., Weakland, J. H., & Fisch, R. (1975). Changements, paradoxes et psychothérapie. Paris: Seuil. https://www.seuil.com/ouvrage/changements-paradoxes-et-psychotherapie-paul-watzlawick/9782020057971
Watzlawick, P. (1981). Comment réussir à échouer. Paris: Seuil. https://www.seuil.com/ouvrage/comment-reussir-a-echouer-paul-watzlawick/9782020062067
Watzlawick, P. (1988). L'invention de la réalité : Contributions au constructivisme. Paris: Seuil. https://www.seuil.com/ouvrage/l-invention-de-la-realite-paul-watzlawick/9782020092156
Publié le mercredi 25 septembre 2024 . 3 min. 51
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