L’intelligence artificielle générative séduit les éditeurs de logiciels de paie. Cegid, Sopra HR, Payfit ont déjà intégré des assistants automatisés capables de traiter les arrêts maladie, générer des attestations employeur ou répondre aux questions des salariés. Dans une récente étude, Xerfi analyse les développements prometteurs pour les entreprises. Mais si l’IA progresse vite, elle avance ici sur un terrain miné. Car la paie n’est pas un processus comme les autres. C’est une fonction à haute intensité réglementaire, juridique, sociale, sans compter les problèmes de confidentialité. Elle ne tolère ni approximation ni improvisation. L’automatisation entre ainsi dans la zone rouge.
Une complexité française hors norme
La France est l’un des pays où la paie est la plus complexe au monde. Fusion des conventions collectives, règles sectorielles, exceptions locales : l’automatisation doit jongler avec un labyrinthe de cas particuliers. Certes, l’IA excelle sur des volumes massifs de données structurées. Mais la paie repose précisément sur l’inverse : des règles mouvantes, des contextes uniques, des interprétations humaines. Un algorithme mal paramétré peut multiplier les erreurs, à grande échelle et en silence. Le progrès devient alors un risque systémique.
Le bulletin de paie devient une boîte noire
Xerfi souligne aussi les réticences des DRH. Et pour cause : en externalisant ou automatisant la fonction paie, les entreprises perdent en lisibilité. Qui, demain, pourra expliquer à un salarié comment sa rémunération a été calculée ? Qui prendra la responsabilité en cas d’erreur ? L’IA crée un écran opaque entre l’entreprise et ses collaborateurs. Et ce flou technique peut devenir un flou managérial, voire social. La paie, c’est aussi un signal de reconnaissance. Mal gérée, elle sape la confiance.
Des données sensibles sous tension
Autre enjeu majeur : la sécurité. L’IA manipule des données ultrasensibles — salaires, cotisations, arrêts maladie, numéros de sécurité sociale. Leur traitement algorithmique, leur stockage dans le cloud, leur circulation entre outils SaaS posent de sérieux problèmes de confidentialité. En cas de fuite ou de mauvaise configuration, le risque est juridique, éthique et réputationnel. Le règlement européen sur l’IA (AI Act) pourrait restreindre certains usages RH pour protéger les droits des salariés.
Confiance ou performance ?
Automatiser la paie à coups d’IA générative, c’est confier une fonction vitale à des algorithmes qui n’ont ni conscience sociale, ni responsabilité juridique. Ce n’est pas seulement un risque managérial : c’est une prise de risque sociale et politique. Quand un salarié ne comprend plus sa fiche de paie, c’est toute la chaîne de commandement qui perd en crédibilité. Quand une erreur algorithmique touche des centaines d’employés, c’est une bombe à retardement sociale. Et si demain, le seul à interpréter le calcul de votre salaire, c’est ChatGPT ou l’un de ses agents, c’est peut-être qu’il est temps de rétablir un peu d’intelligence… humaine. L’évolution est certes inexorable. Mais la prudence s’impose.
Publié le mardi 10 juin 2025 . 3 min. 18
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