L’effet de levier, c’est l’illusion d’être riche avec l’argent des autres. Une stratégie brillante quand l’argent ne coûte rien. Mais un piège mortel quand il redevient rare et cher. Car derrière chaque entreprise à forte dette se cache un pari sur les taux. Et ces taux ont parfois une fâcheuse tendance à remonter, sans prévenir.
Quand l’argent était gratuit
Pendant plus d’une décennie, l’argent ne valait rien. Des taux proches de zéro, voire négatifs. Emprunter devenait un réflexe, une stratégie, presque une vertu. Pourquoi mobiliser ses fonds propres quand les banques prêtent à taux planché ? Les dirigeants ont empilé les dettes comme d’autres empilent les Legos : avec enthousiasme et sans penser à l’effondrement possible.
Le retour brutal à la réalité
Mais les taux ont changé de cap. Entre 2022 et 2024, la BCE puis la Fed multiplient les hausses pour freiner l’inflation. Résultat immédiat : les charges financières explosent. Une entreprise qui empruntait à 1,5 % se retrouve à 5 ou 6 %. Le service de la dette devient un fardeau. Et quand 20 ou 30 % du chiffre d’affaires part dans les intérêts, on arrête de parler stratégie. On parle survie.
Casino : la mécanique grippée
Jean-Charles Naouri avait bâti un empire en s’appuyant sur le crédit. À coups de montages sophistiqués, sa holding Rallye contrôlait Casino avec très peu de capital. Mais dès que les taux montent, la structure s’écroule. En 2023, les intérêts sont ingérables. Les créanciers reprennent la main. L’entreprise est dépecée.
Altice : Drahi, l’homme sous pression
Patrick Drahi a lui aussi bâti son empire télécom-médias sur un endettement massif. Altice, c’est plus de 50 milliards d’euros de dettes accumulées pour financer des acquisitions tous azimuts. Tant que les taux restaient bas, le modèle tenait. Mais en 2023, la remontée des taux et les doutes sur la transparence financière du groupe déclenchent une tempête. Les agences de notation dégradent, les investisseurs s’éloignent. Drahi, longtemps maître du jeu, devient otage de sa propre dette.
Atos : la dette comme héritage toxique
Atos, champion français du numérique, multiplie les acquisitions à crédit entre 2016 et 2020. En 2021, les taux remontent, la rentabilité s’érode, le service de la dette devient insoutenable. L’action perd 90 % de sa valeur. En 2024, Atos vend dans l’urgence et licencie massivement. Ce n’est pas la technologie qui a tué Atos. C’est le coût de son crédit.
Le levier, c’est le feu : ça chauffe, puis ça brûle
Le problème n’est pas l’endettement en soi. C’est de l’oublier quand on calcule. Trop d’entreprises ont bâti leur avenir sur un taux fixe… dans un monde variable. Une erreur de jugement, devenue une faute de gestion. Il n’y a pas de stratégie solide quand on ne maîtrise pas le prix de l’argent.
Quand le pari devient poison
Le levier, c’est séduisant sur le papier. Mais la dette, elle, a toujours un prix. Et ce prix, c’est le taux. Quand il double ou triple, l’addition devient létale. Les dirigeants qui l’ignorent ne dirigent pas : ils parient. Et tôt ou tard, les marchés leur présentent la facture.
Publié le jeudi 15 mai 2025 . 3 min. 38
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