La volonté d’imaginer un futur désirable nous oblige à dépasser de nombreux héritages pesants et massifs de la modernité. Qu’il s’agisse du croissantisme (qui lie la réussite d’une société à sa seule croissance économique), de l’extractivisme (qui valorise des logiques frénétiques d’extraction des ressources naturelles), du néolibéralisme ou encore de l’accumulation délirante du capital. Si tout le monde s’accorde sur la nécessité de reconstruire un nouvel ordre, se pose une question de méthode et de process. S’agit-il de ralentir, de bifurquer, de muter, de renverser ? Le principe de durabilité qui s’est imposé comme un mantra se nourrit par exemple d’une croyance immodérée dans la possibilité d’une transition, notamment énergétique. Pourtant comme le rappelle l’historien des techniques Jean-Baptiste Fressoz, il s’agit d’un leurre. L’histoire des énergies ne répond pas à une logique de substitution, comme le laisse croire l’idée de transition, c’est-à-dire de remplacement de l’une par l’autre. Au contraire, les énergies sont étroitement intriquées et fonctionnent en symbiose. Les énergies s’ajoutent les unes aux autres, quand le développement d’une nouvelle source ne stimule pas les anciennes. Ainsi, l’Angleterre de 1900 consomme plus de bois pour boiser les galeries des mines de charbon qu’elle n’en brûlait au XVIIIe siècle. Le charbon n’a pas remplacé le bois, il a stimulé sa consommation.
Il faut donc bien nommer la métaphore adéquate pour penser le mécanisme de changement auquel nous sommes confrontés, si du moins nous voulons nous saisir des moyens de l’affronter. C’est la seule façon de résister aux sirènes déprimantes de l’effondrisme et de l’aquoibonisme. A défaut de pouvoir mener à bien une transition qui est déjà perdue d’avance, c’est peut-être en termes de métamorphose qu’il faut penser et agir. Comme la chenille qui se transforme en papillon. Mais cet exercice est loin d’être évidence, car pour la chenille, l’état de papillon représente la fin du monde, en tout cas de son monde. Et pourtant il est nécessaire de sortir du temps des chenilles comme le montrent Julie Chabaud et Patrick Viveret, dans La Traversée défend l’idée de métamorphoses avec tous les changements de forme, de nature et de structure qu’elle induit. Ce contre récit positif pour traverser le chaos déconstruit ce temps des chenilles, celui qui nous a appris à découper, classifier, isoler, séparer. Dans le bouillonnement de la chrysalide, les anticorps de la chenille se défendent contre le déploiement des cellules imaginales et donc du papillon qui portent les ferments des métamorphoses. Car à l’issue de cette métamorphose, il se peut que notre monde comme nous-mêmes ne soyons plus reconnaissables. Tout en sachant que, comme le disait le poète Paul Eluard, « oui, il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci ».
Référence : Julie Chabaud et Patrick Viveret, La Traversée Du temps des chenilles à celui des métamorphoses. Un contre récit positif pour traverser le chaos, Les Liens qui Libèrent, 2023
Publié le mardi 9 juillet 2024 . 3 min. 20
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de Benoît Heilbrunn
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