Un architecte qui travaille depuis 35 ans en Corée me racontait récemment qu’il ne lui viendrait pas à l’esprit de lancer la construction d’un siège social ou d’un immeuble commercial sans l’approbation et les conseils d’un chamane. En France, nous ne sommes pas en reste, l’ésotérisme est en train de concurrencer les rayons développement personnel, lequel avait déjà englouti les sciences humaines et la philosophie. L’ésotérisme fait de plus en partie du discours social, des pratiques et de notre vie quotidienne. C’est un maelström qui englobe à la fois la magie, le tarot, les cristaux, les sorcières tiktokeuses, etc. Peut-il sérieusement concurrencer la pensée rationnelle sensée guider les décisions en entreprise ? Comme le rappelle Thierry Jobart, qui après avoir déconstruit le développement personnel, décortique avec humour et discernement le grand bazar des croyances contemporaines, l’ésotérisme apparaît à la Renaissance. Historiquement les pratiques qu’il recouvre sont concomitantes des avancées scientifiques du monde moderne. Ses adeptes entendent, dans une perspective de progrès, percer les mystères d’une éventuelle après-vie. Il ne s’agit pas à l’origine d’une forme d’irrationalisme qui se poserait en concurrent de la démarche scientifique. L’ésotérisme peut donc se comprendre comme une rationalité dont le but n’est pas d’adhérer sans réserve à l’inconnu, mais au contraire de réduire son emprise. On comprend le charme que peut recouvrir en entreprise ce que Jobart appelle la pensée zozotérique dans la mesure où il permettrait de réduire l’incertitude et donc le risque d’entreprendre. Il n’y a donc pas que les présidents de la République qui consultent des diseuses de bonne aventure ou des astrologues. A ceci près que l’ésotérisme a changé, il s’est démocratisé. Initialement conçu sous la forme d’un enseignement initiatique et secret, de maître à disciple, il est devenu exotérique. Chacun peut désormais s’initier par des propres moyens et l’offre marchande recèle de propositions en tous genres. Le zozotérisme est devenu un grand bazar et ne fait plus l’objet d’une spécialisation, car tous les domaines communiquent, des anges aux pierres en passant par la sorcellerie et les animaux totems. Le capitalisme s’est évidemment emparé de la chose sous la forme de la pop culture. C’est que qu’illustrent la religion Jedi inspirée de Star Wars qui compte plus de 500 000 membres ou encore le succès planétaire de Harry Potter. Cette ferveur communielle est devenue le graal de marketeurs qui rêvent de créer de telles communautés autour de leur marque pour transformer leurs clients en fans. Et puis force est de constater que la dimension psychologique du zozotérisme a d’ailleurs largement pris le dessus. Ce n’est plus l’appréhension d’un enseignement secret qui est visé, mais sa mise en pratique concrète, ici et maintenant. OK pour percer les mystères du réel, mais il faut que cela serve à guider ma petite vie. La connaissance c’est bien, mais l’action c’est tellement mieux. D’ailleurs les agrégations communautaires engendrées par les réseaux sociaux sont de formidables chambres d’échos de cette conception qui vise a rejeter les cloisonnements disciplinaires. C’est en est fini de l’académisme et chacun est libre d’exprimer ses propres expériences. Que vous soyez tourneur fraiseur ou commercial dans le caleçon en fibre de bambou, votre témoignage est forcément intéressant. La parole d’autorité n’est plus de mise, on vous demande seulement de la sin-cé-ri-té ! Du ressenti vous dis-je. Il ne s’agit plus de suivre les enseignements d’un maître parvenu à un degré ultime de sagesse, mais de se fier à l’authenticité d’une parole. Non pas apprendre mais dévoiler une vérité présente en vous pour gagner en conscience. Ce qui ne peut se faire que sur le mode de l’immédiateté et de la spontanéité, loin de toute forme d’apprentissage. C’est ici que le zozotérisme rejoint le développement personnel, dans la mesure où il s’agit de se débarrasser de ses pensées limitantes, en découvrant un hypothétique potentiel inexploité afin d’accéder à une meilleure version de soi-même.
Référence : Thierry Jobart, Je crois donc je suis. Le grand bazar des croyances contemporaines, Rue de l’Echiquier, 2023.
Publié le mardi 18 juin 2024 . 4 min. 43
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