La fidélité a longtemps été le graal des marketers, persuadés qu’il est plus facile et moins coûteux de fidéliser des clients existants que d’en conquérir de nouveaux. Mais de nombreuses études ont montré que d’une part, il ne faut pas sous-estimer les coûts cachés de la fidélisation et que d’autre part, cette règle ne s’applique guère pour les catégories de produits à faible rotation (comme l’automobile). Il est effectivement coûteux et peut-être vain de vouloir fidéliser un client qui n’achète que tous les 7 ou 9 ans. Mais que savons-nous finalement de la fidélité aux marques ? Les marketers semblent se gargariser de la racine étymologique de la fidélité, à savoir le latin « fides », la foi . Comme si la fidélité à la marque avait un rapport avec la croyance et qu’elle renvoyait à une sorte de pacte ou d'alliance. Les pratiques marchandes ne confirment absolument pas cette mythologie rassurante.
La fidélité est essentiellement lié à nos habitudes et à notre rapport au temps. Autrement dit, il existe une très forte corrélation entre la fidélité à une panier de marques et la fidélité une enseigne. Tout simplement parce qu’en fréquentant souvent le même point de vente, nous avons tendance à nous habituer à un circuit de déambulation et à développer des routines d’achat. On a trop souvent glorifié la fidélité à la marque en la présentant comme la forme d’expression d’une relation commerciale passionnelle. Mais cette approche idyllique qui surinvestit le pathos consommatoire nous fait oublier que la fidélité est avant tout une heuristique décisionnelle qui sert tout simplement à gagner du temps quand nous faisons nos courses. La fidélité est donc essentiellement fonctionnelle et elle témoigne davantage de notre paresse que d’un sentiment d’amour. Racheter systématiquement la même marque permet d’éviter de se poser des questions et de d’avoir faire un choix. Car le fait de choisir peut être perçu comme anxiogène (que choisir et selon quels critères ? ) et mobilise du temps et de l’énergie cognitive. C’est pourquoi les consommateurs les plus fidèles sont ceux qui ont le moins de temps à consacrer au shopping. Ce sont d’ailleurs ceux qui font leurs courses sur internet. Il n’est donc pas étonnant que le commerce en ligne des biens courants se soit structuré, non pas selon une logique d’achat, mais sur une logique de réachat. Il s’agit souvent d’une choix confirmatoire qui permet de gagner du temps. Et d’ailleurs n’oublions pas que la plupart de nos décisions d’achat sont des décisions routinières.
Par ailleurs, prenons donc garde à ne pas confondre la fidélité entre conjoints et la fidélité à l’égard d’une marque. Il n’y a à priori aucune raison pour qu’un consommateur soit monofidèle à une marque dans une catégorie de produits. La fidélité pose problème au marketing ou plus exactement aux marques, puisqu'elle suggère une certaine répétition qui s'oppose avec la sorte de romantisme propre au consommateur moderne avide de nouvelles expériences et de nouveautés. En proposant des espaces de vente et des sites web qui ont tous les attraits marchands de l'Île de la tentation, comment pourrait-on attendre des consommateurs des logiques de fidélité exclusive ? Comme le rappelle justement Rousseau, « le devoir d’une fidélité éternelle ne sert qu’à faire des adultères. Autrement dit, il n’existe pas une mais plusieurs types de fidélités. Le scénario le plus fréquent est d’ailleurs ce qu’on appelle la fidélité partagée qui consiste à racheter régulièrement 2 ou 3 marques dans le même univers de produits. Ce scénario est rassurant tout en proposant de la variété. Mais finalement il ne fait que répéter dans l’univers marchand ce qui se joue dans nos relations amoureuses, à savoir le développement d’un polyamour qui nous fait devenir selon Belinda Canonne des « polygames lents ».
Publié le lundi 01 mars 2021 . 4 min. 31
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