Il est une question que beaucoup de posent à propos de l’IA : cette merveille technologique qui promet de révolutionner nos vies, de nous délester de nos corvées quotidiennes, et même de nous épargner la peine de penser va-t-elle tuer notre capacité à imaginer ? Certes, l’IA fait des merveilles : elle peut composer des symphonies, peindre des tableaux, et même écrire des articles ; certains artistes n’hésitent d’ailleurs pas à dire qu’elle peut être une source d’inspiration très féconde à partir de laquelle il leur est possible de créer. Mais si l’IA peut prédire nos désirs avant même que nous ne les formulions, et résoudre des problèmes complexes en un clin d’œil, que reste-t-il de notre capacité imaginative ? Allons-nous devoir endosser la triste figure du spectateur impuissant, alors même que le capitalisme nous fait croire que nous sommes tous des artistes en puissance ?
A bien y réfléchir, pourquoi se fatiguer à inventer une histoire quand une IA peut pondre un scénario digne d’Hollywood en quelques secondes ? Pourquoi passer des heures à peindre une toile quand un algorithme peut générer une œuvre d’art en un clin d’œil ? L’IA ne se contenterait pas de nous assister, elle se substituerait à nous. Et notre fainéantise bienveillante semble nous pousser à la laisser faire, tout en la glorifiant.
La créativité humaine est intrinsèquement liée à notre capacité à rêver, à imaginer, à nous confronter avec l’impossible. L’IA, aussi avancée soit-elle, ne rêve pas, ne ressent pas, ne pense pas et surtout n’imagine pas. Elle exécute froidement, méthodiquement. En confiant notre imagination à des machines, nous risquons de tomber dans une monotonie créative, où tout se ressemble, où rien ne surprend, où la nouveauté devient prévisible.
En confiant notre créativité aux IA, nous risquons de perdre une part essentielle de notre humanité : notre capacité à nous émerveiller, à nous surprendre, à nous dépasser. Car l’imagination, c’est aussi cela : explorer des territoires inédits, repousser les frontières du possible.
C’est pourquoi il importe de distinguer comme le fait le philosophe Paul Ricoeur, l’imagination reproductrice qui s’appuie sur une réalité déjà là (à l’image du tableau ou du portrait) et l’imagination productrice qui contribue à créer un sens nouveau, une forme inédite susceptible de remettre en question la réalité existante. Seule cette imagination productrice œuvre à une transformation de notre connaissance et de notre façon d’agir. Car l’IA, aussi sophistiquée soit-elle, ne peut que recycler des données préexistantes, sans jamais véritablement innover. Elle ne sait que reproduire. Certes, elle peut faire preuve de créativité en articulant des bribes du réel et en les réorganisant à l’infini, mais elle ne peut rien créer, c’est-à-dire faire advenir quelque chose à partir de rien. Or seule cette capacité de créer (notamment des fictions) permet de définir l’imagination productrice.
Il faut donc arrêter de se raconter des histoires à propose de l’IA. C’est à cette condition que nous pourrons continuer à fabriquer des fictions, de véritables narrations qui sont le propre de l’imagination créatrice.
En fin de compte, ce n’est pas l’IA qui tue notre capacité imaginative, mais notre propre paresse intellectuelle. Reprenons en main notre destin créateur, et faisons en sorte que l’IA soit notre alliée pour créer et non notre bourreau.
Publié le mercredi 13 novembre 2024 . 3 min. 57
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