Nous avons souvent tendance à reconnaître le mythe comme la vérité des autres, celle à laquelle on ne croit pas soi-même. Par définition, le mythe est une histoire d’une certaine importance, qui touche à autre chose que la simple vie quotidienne. Une histoire qui dit le vrai sur le monde, ajoute du sens et fédère un groupe. D’où l’importance du mythe dans l’entreprise qui est bien plus qu’un espace de production. C’est est une machine à fabriquer des récits structurants qui donnent à voir, à croire, et à consommer une certaine vision du monde. Ainsi le mythe du leader-héro qui correspond au besoin de croire en la figure quasi-messianique du PDG, celui qui sauvera le navire en pleine tempête. Ou bien le mythe selon lequel le succès d’une organisation repose sur la mise en place d’une stratégie claire et cohérente, alors que les stratégies sont souvent improvisées, ajustées en cours de route, et bien moins décisives qu’on ne le croit. Ces récits ne sont pas accessoires. À travers des termes comme "vision", "mission" et "valeurs", l’entreprise impose une interprétation du monde, une lecture symbolique qui légitime son existence. Ces récits promettent du sens dans un monde qui en manque, mais ils le font de manière construite et performative.
Le mythe ne vise pas à décrire la réalité : il la construit. Lorsque l’entreprise proclame qu’elle « change le monde » ou qu’elle « place l’humain au cœur de ses actions », elle ne fait pas état d’un fait : elle fabrique un imaginaire. Ainsi le mythe de la rationalité qui postule que les entreprises fonctionnent sur la base d’analyses objectives, de décisions optimales et de choix rationnels. Or les décisions organisationnelles sont souvent bien moins rationnelles qu’elles n’y paraissent. Elles sont influencées par des routines, des biais cognitifs, et des pressions politiques ou culturelles. Ce mythe de la rationalité sert néanmoins à légitimer les actions prises, donnant une apparence de contrôle et d’ordre. Le mythe recouvre une promesse qui masque la nature contingente de l’organisation en la présentant comme nécessaire et inévitable. Il ne s’agit pas de produire le vrai, mais de produire de la croyance, c’est-à-dire une illusion de vérité. Une croyance qui n’a pas besoin d’être vraie pour fonctionner, mais seulement de susciter l’adhésion.
Pourquoi ces récits sont-ils nécessaires ? Parce que l’entreprise, pour fonctionner, ne peut se limiter à la gestion de flux matériels ou financiers. Elle doit fédérer, inspirer, et justifier. Cela permet à l’entreprise d’offrir des réponses à des questions fondamentales : « Pourquoi sommes-nous ici ? », « Quel rôle jouons-nous dans le monde ». Autant de simples à poser, mais auxquelles il est difficile de répondre. Adhérer à de telles histoires permet de donner du sens au réel. Sachant que les humains préfèrent adopter n’importe quel sens plutôt que pas de sens du tout.
Mais les réponses que donne le mythe sont des artefacts symboliques destinés à masquer les contradictions du système. Le mythe permet de construire un récit d’entreprise qui est aussi un instrument de pouvoir. Certes il rassemble, mais il impose. Il propose un cadre narratif qui, pour les salariés, devient une injonction. Le mythe est bien plus qu’un outil de communication. Il transforme cette histoire en une structure de pouvoir, un cadre narratif qui conditionne la manière dont les individus perçoivent leur rôle, leur travail, et leur existence. Ce récit, même artificiel permet de tenir debout. Car ce n’est pas le mythe qui compte, mais l’adhésion qu’il suscite, et le pouvoir qu’il exerce sur ceux qui choisissent d’y croire."
Publié le jeudi 03 avril 2025 . 4 min. 12
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