Peut-on sincèrement éprouver de l’admiration pour ses collègues ? Il nous arrive, certes, de nous réjouir qu’un collègue éblouisse l’audience avec un PowerPoint percutant. Mais pour être honnêtes, derrière cette émotion fugitive se cache souvent une autre réalité plus triviale : il s’agit souvent d’un soulagement de ne pas avoir à se charger soi-même de cette tâche pénible ? L’admiration naît alors moins d’un réel émerveillement que d’un pragmatisme exacerbé.
Autant il est facile d’admirer un chef de cuisine talentueux ou un artisan passionné, des gens qui maîtrisent leur art et incarnent une certaine excellence. Mais soyons francs : entre la machine à café et les réunions interminables, l’admiration pour ses collègues relève plus du fantasme que de la réalité. Pourquoi devrions-nous attendre une étincelle d’exaltation dans un environnement qui glorifie la médiocratie et érige la banalité en norme ?
Pour admirer, il faut se déprendre de soi-même, se décentrer, même si nous pensons que l’autre n’est qu’un individu parmi d’autres, coincé dans la même galère managériale que nous. Le propre de l’admiration est de nous sortir de la routine et de nous-mêmes.
Mais qu’apporte vraiment l’admiration, qui semble certes plus active, sinon créatrice, que le mépris, l’adulation ou la célébration moutonnière ? Peut-elle vraiment « nous propulser gaiement en dehors de nous-mêmes sans nous affaiblir », ou encore « nous rendre modestes sans nous rapetisser et nous faire grandir sans nous narcissiser » ? comme le prétend la philosophe Joëlle Zask dans son essai Admirer. Si l’étonnement est le « starter » de la connaissance, l’admiration en est le « fioul ». Du moins, si derrière elle ne surgit pas, comme une facilité ou un pis-aller, l’imitation.
Joëlle Zask nous encourage à voir l’admiration non pas comme une expérience rare et exceptionnelle, mais comme une possibilité ordinaire, accessible si nous savons la déployer. Admirer ne revient nullement à être subjugué, à plagier, à reproduire, mais toujours à accueillir ce qui est plus grand que soi et qui incite chacun d’entre nous à grandir.
Oui, l’admiration peut se nicher dans les petites choses. Comme le souligne Zask, l’objet de l’admiration doit nous dérouter, nous sortir de la routine. Même si nos collègues nous surprennent rarement, il y a toujours un secret espoir que surgisse cette « subite surprise de l’âme ». Celle qui permettrait de « nous propulser gaiement en dehors de nous-mêmes sans nous affaiblir ».
En réalité, admirer n’implique en rien le rapetissement de soi-même qu’on imagine parfois. Au contraire, il s’agit d’une interaction qui nous fait « grandir ». Le collègue que j’admire n’est pas un gourou, mais une personne qui me pousse à développer ma personnalité, à réaliser ce qui m’est propre. L’admiration vient de l’imitation, dont dérivent l’inspiration, l’émulation, et le respect. Cela veut dire observer de près une technique, un geste, une attitude, afin de perfectionner sa propre performance.
Et peut-être, parviendrons-nous en cultivant cette attitude bienveillante, à transformer la médiocratie en un terreau fertile où fleurissent des moments de véritable rencontre. Car, après tout, même dans le désert le plus aride, il y a toujours une chance de trouver une oasis.
Référence, Joëlle Zask, Admirer. Eloge d’un sentiment qui nous fait grandir, Premier Parallèle, 2024.
Publié le jeudi 05 décembre 2024 . 3 min. 51
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