Plaidoyer pour le commerce : le lien est dans les biens
Publié le mercredi 1 juillet 2020 . 3 min. 29
Est-il étonnant que le commerce (contrairement au business) ait un dieu, Hermès, qui est aussi le dieu des échanges, du voyage de la communication … et des voleurs ? Quand Félix Potin révolutionne le commerce moderne au milieu du XIXème siècle, l’épicier est une figure péjorative. Héritier de Marco Polo et de Christophe Colomb - dont l’objectif premier était de trouver la meilleure route pour le trafic des épices-, il est souvent considéré par capillarité comme un trafiquant qui n’est fiable ni sur la quantité, ni sur le prix de la marchandise vendue. Avant qu’une enseigne puisse affirmer dans sa signature de marque « Mon épicier est un type formidable », il a fallu que la relation marchande gagne en transparence grâce à plusieurs dispositifs permettant de réguler l’échange : affichage du prix (qui devient donc le même pour tous), déploiement des marques, etc.
Mais le commerce n’a pas qu’une vertu marchande ; c’est un catalyseur et un créateur de liens. Au temps de la déliaison, le commerce est justement le dispositif qui peut nous permettre de recréer ces petits liens qui sont essentiels à la vie sociale. Toutes les expérimentations montrent que l’introduction d’un commerce dans un quartier sensible permet de réguler le lien social et de conjurer la violence. C’est pourquoi la disparition des commerces de proximité est un drame économique mais aussi politique, car il affecte lourdement la vie de la polis, la cité. Quoi de plus triste qu’un village sans commerçant, sorte d’espace dont la vie se serait comme absentée. Le commerce est l’une des conditions majeures pour transformer un espace en un lieu, c’est-à-dire un espace qui soit à la fois historique, identitaire et relationnel. La vie urbaine sans commerce nous expose au non-lieu et au non-sens.
Une rhétorique politique tente de nous faire croire que notre civilisation aurait largement privilégié les biens sur les liens. Mais c’est méconnaître la nature même de la culture matérielle qui est justement de tisser des liens dans et par les biens. La valeur des biens marchands est un enchevêtrement de liens à la fois culturels, sociaux et psychologiques. Le shopping est une forme essentielle notre vie sociale et sensible, qui nous permet tour de tour de sentir, de découvrir, de s’émerveiller, bref d’échanger de la valeur et du sens. C’est pourquoi les écoles dites de commerce qui ont été créées par les marchands au 19ème siècle pour former leurs enfants aux différents métiers de l’échange ont un rôle capital à jouer dans la revalorisation du commerce. Mais l’observation montre qu’elles ne forment plus guère d’épiciers. La mue de toutes ces écoles en business schools, signe le tragique l’abandon de leur mission première qui est de former aux échanges entre les hommes. A la vie qu’incarne le commerce s’est substituée la survie qu’emblématise le business. C’est en redonnant au commerce ses lettres de noblesses que nous pourrons glorifier la vie contre les sirènes du business qui nous aimantent irrémédiablement vers les rives de l’insignifiance et les pulsions mortifères.
Les dernières vidéos
Idées, débats
:un décryptage en stratégie managériale Michel Kalika 05/03/2024
Les dernières vidéos
d'ESCP Business School
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES