Comment expliquer l’existence des pratiques superstitieuses, et surtout leur persistance dans une société noyée de technologie, alors même que ces pratiques n’ont, par définition, rien de rationnel ? À la base de ces comportements, se joue la recherche d’une maîtrise de notre environnement. La superstition nous donne l’impression de pouvoir maîtriser l’incontrôlable. Ainsi ces comportements sont-ils accentués dans les situations d’incertitude et de prise de risque, comme les compétitions sportives, les jeux de hasard et bien évidemment en entreprise. Cela varie selon les individus car la superstition touche d’abord les personnes qui font confiance à leurs intuitions et émotions davantage que ceux régis par la pensée analytique. Mais ne vous y trompez pas, même dans les entreprises les plus avant-gardistes, le pouvoir des grigris et des rituels est bel et bien vivant.
Il faut dire que la superstition offre un réconfort indéniable face à l’imprévisibilité du monde du travail. Certains managers ont des objets fétiches, des stylos porte-bonheur ou des cravates talismaniques qu'ils ne quittent sous aucun prétexte les jours de présentation cruciale. La superstition devient alors une béquille émotionnelle, une manière détournée de reprendre un semblant de contrôle sur une réalité chaotique.
Les entreprises contribuent souvent à alimenter ces croyances. Les séminaires de motivation prennent parfois des airs de séances de spiritisme, où l’on invoque l’esprit de la réussite avec une ferveur quasi-religieuse. Les consultants en développement personnel n’hésitent pas à proposer des rituels quasi religieux, méditation collective, et autres incantations de réussite. C’est à se demander si les KPI ne sont pas calculés à l’aide de runes divinatoires.
Les équipes, elles aussi, se laissent séduire par ces pratiques mystiques. Ainsi, ces bureaux qui se parent de plantes vertes censées attirer les bonnes ondes, et ces post-it qui font office de talismans incarnant des mantras positifs. Et que dire des mascottes d’équipe qui trônent fièrement sur les comme autant de totems protecteurs ? Tous ces objets sont là pour rappeler que, malgré les apparences, le sérieux et le professionnalisme ne sont qu’un masque pour dissimuler une croyance irrationnelle dans la pensée magique.
Même les rituels quotidiens prennent des allures de cérémonies sacrées, comme le café matinal partagé religieusement à la machine.
Cette superstition latente a aussi ses dérives plus inquiétantes. Combien de décisions cruciales sont prises sur un coup de tête, guidées par une intuition nébuleuse plutôt que par des faits et analyses argumentées ? Combien de fois les talents et les compétences réels sont-ils sacrifiés sur l’autel de la chance et de la destinée ?
Et pourtant, malgré ses aspects farfelus, la superstition en entreprise a une fonction sociale indéniable. Elle crée du lien, fédère les équipes autour de croyances communes, aussi absurdes soient-elles. Elle permet de décompresser, de transformer le stress en espoir, l’incertitude en promesse. Elle ajoute une touche d’émotion et de vulnérabilité dans un univers souvent impitoyable et déshumanisé. La superstition devient alors un langage universel, un code impllcite qui transcende les hiérarchies et les cultures d’entreprise.
Car si elle semble contredire la logique implacable du monde professionnel, la superstition n’en demeure pas moins un palliatif précieux face à l’angoisse existentielle du manager. Nous cherchons tous à conjurer le sort à notre manière. Et après tout, entre les plans stratégiques et les prières silencieuses, qui peut vraiment dire où s’arrête la raison et où commence la magie ?
Publié le vendredi 08 novembre 2024 . 4 min. 07
Les dernières vidéos
Management et RH
Les dernières vidéos
de Benoît Heilbrunn
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES