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Il y a des discours qui coûtent cher. Celui du Chinois Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, lors d’un forum financier le 24 octobre 2020, lui a coûté – tenez-vous bien - 37 milliards de dollars. C’était ce que devait rapporter l’introduction en Bourse de sa société Ant Group, qui a été interrompue juste après son discours, sur ordre de Xi Jinping.

En critiquant le système financier chinois, Jack Ma avait commis un crime de lèse-majeté. Il avait dit que les banques fonctionnaient encore « avec une mentalité de prêteur à gages », et que l’excès de contrôle finirait par étouffer l’économie. Or le milliardaire de la tech agaçait le pouvoir depuis des années en jouant les vedettes, en Chine et au-dehors, notamment à Davos. Surtout, son entreprise devenait « systémique » : Alibaba était à la fois un équivalent d’Amazon dans le commerce, mais aussi d’ApplePay et de Mastercard pour les paiements, d’un courtier d’assurance, et même d’un banquier : il faisait des crédits à la consommation de 300 euros, le niveau du salaire minimum, sans prendre de vraies garanties. Les autorités craignaient de perdre le contrôle des flux financiers. En suspendant la cotation d’Ant Group in extremis, Xi Jinping montrait que l’Etat chinois restait toujours le patron.

Aujourd’hui, le groupe de Jack Ma a été démantelé, sa valeur s’est effondrée, et le multimilliardaire, qui n’en détient plus qu’une infime partie, enseigne dans des universités japonaises ou israéliennes…

Un autre JM – surnommé, lui, J2M puis J6M pour « Jean-Marie Messier moi-même maître du monde » – a pu constater que le Capitole était tout proche la roche Tarpéienne. Lui aussi a été victime de son hubris. Pour l’énarque qui avait transformé la « vieille » Générale des Eaux en Vivendi, géant des médias, le rachat d’Universal en 2000 et de USA Networks en 2001 a été le coup de trop. Car tout était financé par la dette, et les marchés financiers s’affolaient, ne croyant pas à la « convergence » entre les activités historiques comme SFR et la distribution de films aux Etats-Unis. Pour tenir jusqu’au jour où les abonnés de SFR pourraient regarder des films sur leur portable, Messier aurait dû gérer son groupe au lieu de s’acharner à le faire grossir. Etre visionnaire ne suffisait pas. Comme le confia plus tard un administrateur : « pendant qu’il se comportait en Napoléon conquérant, dans son appartement de 520 m2 sur Park Avenue payé 17 millions de dollars par Vivendi, il ne s’est pas aperçu que sa maison n’était plus tenue ». Il n’avait pas nommé de dg en France de peur qu’il lui fasse de l’ombre, et personne n’arbitrait quand les barons du groupe se faisaient la guerre. Le coup de grâce, il se l’est porté tout seul, en disant aux journalistes américains en décembre 2001 : « L’exception culturelle franco-française est morte.» Cette phrase prononcée pour séduire Hollywood et parce qu’il se sentait invincible, a poussé le monde de la culture à le lâcher, vite imité par les politiques… et son conseil d’administration.

Carlos Ghosn ou Anne Lauvergeon connaîtront, plus tard, les mêmes déboires pour le même péché d’orgueil. A leur décharge, il n’y a pas que les patrons qui courent ce risque. Gérard Collomb, maire de Lyon et proche d’Emmanuel Macron, signa sûrement sa perte le jour où il dit en visant à demi-mot le président : « Je pense que nous avons manqué d’humilité. L’hubris, c’est la malédiction des dieux. »

La leçon de ces histoires ? C’est que, « par construction », le dirigeant présente plus de risques que le commun des mortels d’être atteint par la tentation de la démesure. Même si son assurance est justifiée par ses réussites passées, ce gonflement de l’ego empêche souvent celui qui a tout réussi de prendre conscience qu’il a atteint son « point culminant ». C’est alors qu’il fait « le coup de trop » – celui qui signe sa perte.


Publié le mercredi 13 novembre 2024 . 4 min. 02

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