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Des milliardaires comme Elon Musk ou Mark Zuckerberg sont, dans bien des domaines, plus puissants que des Etats. Mais il arrive que les Etats ne se laissent pas faire : c’est le cas lorsqu’ils touchent à la finance ou à la monnaie. En Chine, c’est lorsqu’Alibaba est devenu dangereux pour le système financier que le président Xi Jing Ping a donné le signal de faire disparaître son dirigeant Jack Ma pendant trois mois et de démanteler son entreprise. En Occident, c’est lorsque le patron de Facebook a présenté son projet de monnaie numérique que les pouvoirs publics ont, pour une fois, réagi à temps et de concert.

 Sans doute les Etats ont-ils compris que cette monnaie, qui s’est appelée successivement la Libra et le Diem, allait être le coup de grâce pour eux : si Mark Zuckerberg avait réussi, chacun des milliardaires « systémiques » aurait voulu avoir sa monnaie. Et c’en était fini alors de la souveraineté de chaque État sur sa devise, principal instrument de sa politique économique. Donc c’en était fini du pouvoir des États.

Mark Zuckerberg avait réuni des partenaires intéressés par les données des utilisateurs, comme Uber, Spotify, Iliad ; des sociétés de paiement comme PayPal, Visa ou Mastercard ; et des ONG aussi, car cette monnaie promettait d’être une valeur refuge pour les pays dont la devise s’était effondrée ; les paiements devaient être plus simples, les commissions moins élevées, les banques court-circuitées… et l’argent sale aussi aurait pu circuler.

En septembre 2019, les grands argentiers de la planète se réunissent à Bâle. Jamais une entreprise privée n’a eu ainsi les « honneurs » de 26 banquiers centraux, dont ceux de la Fed et de la BCE, qui lui demandent de s’expliquer. Pour les rassurer, Zuckerberg propose d’indexer sa monnaie sur cinq devises fortes : le dollar, l’euro, le yen, la livre sterling et le dollar singapourien.

Mais les autorités ne sont pas rassurées : que se passera-t-il le jour où Zuck décidera de changer la quantité d’euros (ou de dollars) dans son panier ? L’impact sur la valeur de la monnaie concernée sera immédiat. Il sera suivi d’un impact sur le commerce de tous les États ayant l’euro (ou le dollar) comme monnaie de référence. Ce qui affectera leur croissance et affaiblira l’indépendance de leur politique monétaire… Personne n’a envie que la politique monétaire de son pays se retrouve entre les mains de Mark Zuckerberg.

Une monnaie est un bien public, une chasse gardée des États : ils sont les seuls à pouvoir faire tourner la « planche à billets », ou à l’inverse à pouvoir diminuer l’argent en circulation pour contrôler l’inflation. Or avec plus de 2 milliards d’utilisateurs potentiels – à comparer avec les 500 millions de citoyens de la zone euro ! –, la monnaie de Facebook aurait possédé une force de frappe inégalée. Une multinationale aurait eu la même puissance monétaire que des États souverains qui, eux, sont soumis au contrôle démocratique, au vote !

Les Etats ont donc organisé une riposte coordonnée. Ils ont dissuadé les partenaires de Facebook de s’associer à ce projet. Paris, Rome et Berlin ont annoncé son interdiction en Europe. Mais c’est le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz qui a été le plus réaliste. Il a dit : « Seul un imbécile ferait confiance à Facebook pour son bien-être financier. Mais avec autant de données personnelles sur 3 milliards d’utilisateurs, Facebook sait justement mieux que personne combien de gogos naissent à chaque minute… » De guerre lasse, Zuckerberg a renoncé.

La leçon de cette histoire, c’est qu’il est encore temps d’arrêter les géants de la Tech dans les domaines de la fiscalité, de la concurrence, ou de la santé des adolescents : mais cela suppose une parfaite coordination des grands Etats, Etats-Unis inclus.


Publié le jeudi 12 septembre 2024 . 3 min. 58

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