Quand Alexis de Tocqueville arrive aux Etats-Unis en 1831, et qu’il découvre ce qu’est une démocratie, il s’étonne d’abord de trouver dans les journaux des articles diffamatoires contre des personnalités publiques. En France, sous Louis-Philippe, ces journaux auraient été censurés ou interdits. Il évoque le sujet avec des notables locaux qui lui expliquent que certes, de tels articles peuvent faire beaucoup de mal et qu’il faut attaquer leurs auteurs en justice, mais que comme les journaux sont extrêmement nombreux, chaque organe de presse pris individuellement possède en réalité peu de pouvoir, et qu’avec le pluralisme la vérité finit toujours par triompher. Pour eux, la liberté de la presse est non négociable, elle est le pilier de la démocratie.
Deux siècles plus tard, et après vingt ans de réseaux sociaux, les fake news n’ont jamais été aussi nombreuses. Et après vingt-cinq ans de Google – Google qui promettait de nous faire entrer dans la société de la connaissance -, il n’y a jamais eu autant de platistes, les gens qui croient que la terre est plate. Pire, les Américains viennent de ré-élire un homme qui a accumulé les mensonges et laissé ses partisans utiliser des deep fakes, c’est-à-dire des vidéos conçues par l’intelligence artificielle avec des images truquées et des voix manipulées. Trump a choisi comme ministre de la santé un homme qui prétend que les vaccins sont responsables de l’autisme, et a confié le soin d’alléger l’Etat à Elon Musk, dont un tiers des messages mis en ligne pendant la dernière campagne électorale – selon une enquête du New York Times - étaient faux ou délibérément trompeurs. Vingt-quatre heures avant l'élection, Musk a encore retwitté des messages déformant les propos de Kamala Harris sur le contrôle des armes à feu ou les émigrés afin de déchaîner l’indignation. Et pour plaire à Trump avant même son investiture, Meta (Facebook) a changé sa politique de modération et supprimé son programme de fact-checking, ce qui ouvre la voie à des contenus encore plus dangereux au nom de la liberté d’expression.
La moitié des 330 millions d’Américains semblent se moquer totalement de la vérité dans l’espace public. Ils acceptent non seulement l’exagération et la caricature, mais aussi le mensonge volontaire comme arme de campagne légitime. Trump a inventé les « vérités alternatives » et ignore les réalités scientifiques. La France n’est pas épargnée par ce phénomène : souvenez-vous du soutien populaire dont jouissait le Pr Raoult pourtant dénoncé par toute la communauté scientifique. Peut-on encore espérer que la pluralité, sur internet, finira par faire triompher la vérité ? Dans une démocratie, on doit refuser la normalisation du mensonge et sanctionner ceux qui le propagent. Mais les efforts des médias qui créent des rubriques « vrai ou fake », « info ou intox », pour essayer de rétablir la vérité, paraissent bien dérisoires.
Nous sommes, paraît-il, dans l’ère de la post-vérité, un concept apparu en 2016 dans le dictionnaire Oxford après la campagne du Brexit et la première élection de Donald Trump. L’ère de la post-vérité, c’est le moment où les faits objectifs ont moins d’influence sur l’opinion publique que les appels à l’émotion ou les croyances personnelles – autrement dit lorsque la vérité devient secondaire, inutile, non pertinente pour expliquer le monde. En France, l’ère de la post-vérité triomphe depuis longtemps en matière économique : alors que nous avons accumulé plus de 3200 milliards d’euros de dettes et un déficit abyssal, les politiques de tous bords se battent pour de nouvelles dépenses et encouragent les électeurs dans leur inconscience. L’expression « responsable politique » est devenue un oxymore. Le problème n’est pas que la vérité – notre faillite financière - soit contredite ou attaquée, c’est qu’elle n’intéresse plus personne. Pourtant, il n’existe pas, ici non plus, de vérité alternative.
Publié le vendredi 31 janvier 2025 . 4 min. 10
Les dernières vidéos
Médias, culture, loisirs




Les dernières vidéos
de Christine Kerdellant




LES + RÉCENTES



LES INCONTOURNABLES

