Bien sûr, il semble facile, une fois qu’un dirigeant a été remercié, de pointer les erreurs qu’il a commises. Pourtant, en ce qui concerne Carlos Tavares, l’emblématique patron du constructeur automobile Stellantis remercié par son conseil d’administration début décembre 2024, il y avait plus d’un an déjà que les langues commençaient à se délier et que ses mouvements stratégiques n’étaient plus paroles d’évangile. Les observateurs se demandaient déjà s’ils assistaient à une baisse de régime passagère – le groupe Stellantis restant très rentable - ou si la méthode Tavares avait atteint ses limites. Plutôt que de tirer sur une ambulance, mieux vaut tirer les leçons d’un mode de management. Car les erreurs qui ont été pointées ici ou là n’auraient pas forcément été commises avec un autre style de leadership.
Première erreur, ne pas s’être préoccupé suffisamment du marché américain. Ce fut le marché le plus rentable pendant des années. Mais entre fin 2023 et début 2024, Stellantis a laissé les stocks gonfler. Tavares aurait dû se rendre compte que sa politique de prix était trop gourmande – ses concurrents accordaient tous des ristournes sur un marché en berne -, mais il ne voulait pas baisser ses marges. Carlos Tavares a dit qu’il avait manqué de signaux d’alerte. Et pour cause : son directeur des opérations pour l'Amérique du Nord, Mark Stewart, était parti en janvier 2024 pour diriger Goodyear, et son successeur n’a tenu que quelques mois. Le turn over très supérieur à la moyenne chez Stellantis a été très pénalisant.
Deuxième erreur, son obsession de baisse des coûts a fini par confiner à l’avarice. Tavares se définissait lui-même comme un psychopathe des réductions de coûts, c’était l’un de ses grands facteurs-clés de succès. Mais cette obsession de court terme a fini par passer avant le souci d’augmenter le chiffre d’affaires, donc à pénaliser le moyen terme. Il a par exemple sacrifié les moyens commerciaux, et oublié le marketing qui donne envie d’acheter des voitures. Et comme il avait, de surcroit, comme tous les constructeurs, gonflé les prix…
Troisième erreur, il n’a pas mis les moyens nécessaires pour conserver sa position sur le marché chinois alors qu’à son arrivée, en 2014, la Chine était l’un des marchés les plus rentables de PSA grâce au partenariat avec Dong Feng. Hélas, des tensions avec Dong Feng, un clash avec l’autre partenaire GAC, le 5ème constructeur chinois, ont contribué à mettre en péril les positions de Stellantis sur le plus gros marché du monde.
Ces erreurs auraient-elles pu être évitées avec un mode de management différent ? C’est en réalité toute la question. En mettant une forte pression sur les managers, en minutant leurs réunions ou leur temps de déjeuner, en les poussant à réduire sans cesse les effectifs et leur faisant sentir en permanence qu’ils étaient sur un siège éjectable - en 2023, l'équipe de direction au sens large a enregistré au moins 15 changements de postes et une demi-douzaine de départs –, Carlos Tavares n’a pas créé une saine émulation mais de l’inconfort à tous les étages. Au sein de ces équipes déstabilisées, les mauvaises nouvelles ne remontaient plus.
Cette méthode de mise sous pression extrême avait pourtant fonctionné pendant les premières années, quand il s’agissait de réduire les coûts très vite et qu’il y avait des espaces pour cela. Mais pour cette nouvelle phase de développement, elle était devenue contreproductive.
La leçon de cette histoire ? C’est qu’une méthode de management n’est pas valable en tout lieu et de tout temps, elle fonctionne pour une entreprise donnée dans des circonstances données. L’attitude de Carlos Tavares vis-à-vis de ses équipes se doublait d’une certaine arrogance vis-à-vis des membres du conseil d’administration qui certes, pardonnaient tout… tant qu’il excellait. Mais le repli sur ses dogmes, son isolement croissant, cette manifestation d’hubris de la part d’un patron devenu intouchable – ou qui se croyait tel – ont précipité sa chute.
Publié le lundi 20 janvier 2025 . 4 min. 12
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