Pour comprendre pourquoi la gouvernance suprême des entreprises, celle du CA, est obsolète aujourd’hui il faut comprendre d’où elle vient.
Elle repose sur ce qu’on appelle le pouvoir souverain : les actionnaires. Les membres du CA sont nommés par eux. Mais ce pouvoir est-il encore légitime ? Il est né au XIXème siècle, à une époque où la ressource rare était le capital, où le travail était fongible et était un intrant relativement illimité, notamment avec l’exode rural, où les ressources de la planète étaient considérées comme gratuite, où les déchets pouvaient être jetés dans la nature, notamment la mer, car celle-ci pouvait tout absorber, où les émissions de gaz dans l’atmosphère étaient sans danger car le vaste ciel absorbait tout et où les savants n’avaient pas encore souligné les enjeux du réchauffement climatique, où les produits chimiques pouvaient être utilisés sans limites car ils se dégraderaient sans problème, où les plastiques n’existaient pas, où la nature était aussi une ennemie à travers ses mauvaises herbes, ses parasites, ses nuisibles, ses colères imprévisibles. Bref où l’effondrement environnemental et la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise pouvaient être ignorés. Ne condamnons pas trop vite. La terre comptait seulement 1,7 milliard d’habitants en 1900 et les axiomes ci-dessus n’étaient pas absurdes. Nos maux viennent de notre croissance économique et démographique, pas seulement de notre aveuglement.
Au début seul le capital était un intrant important, puis, progressivement, avec les revendications sociales, le travail des salariés a été un peu reconnu dans la gouvernance. Les administrateurs salariés, quand ils existent, sont aujourd’hui les seuls administrateurs non nommés par les actionnaires.
Les autres intrants n’y existent toujours pas. Ni la nature, ni les ressources, ni les non-salariés, ni la société n’ont droit à une part de décisions qui pourtant les concernent. Seuls quelques principes comme celui de pollueur-payeur ou celui de la « prise en considération » des enjeux RSE par l’entreprise, grâce à la loi PACTE, ont fait un peu progresser leur visibilité, mais pas encore vraiment leur participation aux décisions. Les manques de prise en compte dans les domaines des pollutions, des substances nocives, de la biodiversité, de la pollution plastique, d’émissions de gaz à effet de serre, etc., sont encore criants.
Mais cela change. Il va falloir désormais de façon croissante tenir compte de nouvelles conditions. De nouveaux acteurs exigeant un changement sont nombreux et puissants.
La nature tout d’abord par ses colères et ses affaiblissements nous signale que nous lui avons trop pris et interpelle les citoyens dans leur santé, les politiques dans leurs réglementations, les actionnaires dans leurs craintes.
La société par ses exigences de qualité de vie et de réduction des inégalités veut être plus écoutée. Elle le manifeste un peu en politique et désormais beaucoup à travers les réseaux sociaux, cette force colossale dont l’impact est encore sous-estimé par beaucoup de dirigeants qui n’ont pas compris qu’elle bouleverse toute la vie sociale et politique.
Les ONG qui ne sont plus des groupuscules idéalistes mais qui sont désormais des multinationales de grande puissance avec des vraies ressources financières et matérielles et disposant de juristes de premier plan. Elles savent utiliser les lois, informer les opinions, saisir tout moyen d’action pour faire bouger les lignes.
La science qui démontre chaque jour l’obsolescence des anciennes croyances et la stupidité de maintenir certaines habitudes.
Les jeunes qui veulent que le monde protège les générations futures et qui vont se battre pour que cela change, entrainant avec eux une partie de plus en plus importante de la société.
Les juges qui reconnaissent de façon croissante à des parties prenantes, le droit à vivre en bonne santé, sur la base des accords internationaux ou des constitutions, ces dernières rappelant souvent l’injonction pour l’État de protéger les citoyens.
Il est évident que la gouvernance doit changer, et que si elle ne change pas par elle-même, des changements législatifs l’y obligeront. Sans une loi, il n’y aurait pas encore beaucoup de femmes dans les conseils d’administration. Sans de nouvelles lois, la nature n’y entrera probablement jamais, sauf par la porte étroite des activistes et de quelques investisseurs responsables, ce sera insuffisant.
Publié le vendredi 17 janvier 2025 . 4 min. 33
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