L'exercice du pouvoir au sein des organisations est un sujet abondamment documenté. Pourtant, certaines dimensions critiques demeurent sous-explorées. La plus frappante d'entre elles est peut-être la vulnérabilité du leader. Cet aspect de la nature humaine au pouvoir peut sembler paradoxal, tant l'image du leader héroïque, surdoué, résilient et infaillible est ancrée dans les esprits.
Dans ce monde où l'incertitude et la complexité ne cessent de s’intensifier, la vulnérabilité pourrait devenir une composante essentielle de ceux qui dirigent, inspirent et s'efforcent de pérenniser les activités de leur organisation de manière vraiment responsable. On a trop souvent attendu du leader qu’il incarne l'excellence absolue. De l'école aux programmes de développement en leadership, en passant par les cabinets de chasse de têtes, les qualités personnelles du leader ont largement été surévaluées, idéalisées et donc romancées.
John Maxwell, auteur à succès, décrivait le vrai leader comme celui qui sait toujours où il va, par quel chemin et comment convaincre les autres de le suivre. Cette vision du leader charismatique, doté d’une intuition quasi prophétique, d’une infaillibilité cognitive et d'une force de persuasion à toute épreuve, est rassurante pour ceux qui se complaisent dans l'idée d'un pouvoir centralisé, fort et paternaliste.
Mais nous le savons tous, l'invulnérabilité du leader est un mythe, a fortiori dans un monde multipolaire, interdépendant et hyperconnecté. En fait, la vulnérabilité du leader n’est pas obligatoirement synonyme de faiblesse ou d’incompétence. On peut aussi l’associer à l’idée de "fendre l’armure" pour échapper à la tyrannie du « soi parfait », en s’ouvrant aux autres sans que cela nuise à la légitimité de son autorité. Il existe de nombreux avantages à humaniser sincèrement sa manière d’être en tant que dirigeant ou manager.
Tout d’abord, cela contribue à prévenir certaines dérives du pouvoir telles que l’excès de confiance en soi, la vanité et la « névrose de l’acteur », ce besoin pathologique de plaire et d’être admiré par son entourage.
Ensuite, la pleine conscience de ses points faibles ouvre la voie à l’exercice d’un pouvoir naturellement plus empathique, plus authentique et plus compréhensif. Une telle disposition favorise des relations professionnelles fondées sur la confiance et la transparence, aux antipodes de la stricte verticalité hiérarchique.
En admettant ses fragilités, le leader identifie mieux les qualités et les expertises qui lui font défaut pour exceller dans sa mission. Concentré sur le développement de ses domaines de prédilection, le leader adoptera volontiers la devise de Nietzsche : « Deviens ce que tu es », rejetant ainsi l’illusion de l’omniscience et de l’omnipotence.
Un leader qui ne cache pas ses faiblesses prouve qu'il est suffisamment confiant pour ne pas craindre de perdre son autorité, une façon d’inspirer le respect et de limiter les jeux politiques d’acteurs.
Et puis, la mise à l’écart d’une image surpuissante de soi permet de se libérer des attentes irréalistes d’un corps social qui serait en quête d’un pouvoir providentiel.
En fin de compte, vulnérabilité et leadership ne sont pas seulement compatibles, mais peuvent se renforcer mutuellement car le leadership ne consiste pas à être invulnérable, mais à réussir collectivement dans l'incertitude, avec intégrité et détermination.
Publié le mardi 22 octobre 2024 . 3 min. 54
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