On nous assène ici et là qu’il faut apprendre à désapprendre. Que c’est désormais une compétence indispensable pour faire face à l’accélération des changements et aux défis de notre époque. Omettez de la développer, et vous voilà sur le chemin funeste de l’obsolescence.
Pour les pourvoyeurs du désapprentissage, beaucoup de ce que nous avons appris hier est désormais inutile, voire contreproductif. Pour conjurer ce mauvais augure, il serait crucial de résister à la résistance, de reconfigurer ses connaissances, de déconstruire ses pratiques pour mieux en intégrer de nouvelles. En bref, il faut se réinventer !
Mais est-ce bien raisonnable de chercher à se réinventer ? Juste parce que l’époque l’exige ? Les existentialistes diraient volontiers que celui qui cherche à se réinventer sans se connaître risque fort de se perdre plutôt que de se trouver. Et puis, on ne se réinvente jamais vraiment. Tout au plus, on révèle une part de soi-même dans un nouveau contexte, avec de nouveaux objectifs.
Par ailleurs, inciter des individus à désapprendre ne rend pas vraiment justice à leur intelligence. La nature humaine serait-elle incapable de se remettre en question sans une injonction extérieure ? Pourtant, l’histoire de l’humanité fourmille d’exemples où les individus, seuls ou collectivement, ont fait preuve d’adaptabilité et de créativité, sans qu’on leur intime l’ordre de ‘désapprendre’.
Et puis, désapprendre suppose de trier entre ce qui est obsolète et ce qui demeure fondamental. Mais décide de ce qui doit être déclassé, puis éliminé ? En la matière, les spécialistes de l’oubli sélectif ne manquent pas. Mais méfions-nous de ceux qui prétendent nous apprendre à penser : ils finissent souvent par nous dire quoi penser.
D’ailleurs, les études sur le sujet montrent que la célébration du désapprentissage en entreprise sert avant tout à éliminer les comportements jugés inefficaces au profit de ceux considérés comme les plus adaptatifs. Autrement dit, le désapprentissage sert moins l’impertinence de l’innovation que le conformisme de l’adaptation.
La rhétorique du désapprentissage ne serait-elle qu’un outil de conditionnement, visant à aligner nos façons de faire et de penser sur les exigences du marché ? À cet égard, l’essor de l’IA est un cas d’école : pour en tirer profit, l’enjeu n’est pas tant de désapprendre que de s’y adapter, en développant de nouvelles compétences, au risque de devenir son subordonné plutôt que son allié.
Le véritable enjeu n’est donc pas de désapprendre, mais d’apprendre à apprendre. Non pas en acceptant passivement qu’on nous dicte ce qui doit être oublié, mais en affinant notre capacité de discernement et en questionnant nos propres certitudes. Une démarche plus exigeante, mais infiniment plus porteuse de sens.
Publié le mercredi 26 mars 2025 . 3 min. 20
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