« Repérer et cultiver les hauts potentiels parmi les nouveaux arrivants, c'est miser sur les leaders de demain et faire un pari gagnant pour l'avenir de l'entreprise ! » Cette déclaration illustre une conviction, une obsession et même une orthodoxie largement répandue dans les grandes organisations, celle de la Gestion des talents.
Ah, la Gestion des talents ! On commence par identifier les plus prometteurs, ceux qui, à 25-30 ans, portent en eux l'ADN du succès. On les baptise « hauts potentiels » et on leur offre des conditions de travail privilégiées, une rémunération attractive et un parcours sur-mesure afin que la prophétie du leadership puisse se réaliser.
Cette approche peut sembler naturelle mais elle est hautement contestable. Ce qui pose problème, c'est cette logique inspirée des méthodes de sélection des sportifs de haut niveau, popularisée par les grands cabinets de conseil nord-américains. Une logique qui néglige opportunément la mise en garde de Pascal dans les Pensées : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
Dans sa carrière, le sportif affronte souvent les mêmes épreuves, avec des règles du jeu quasi immuables. En revanche, le futur d'un haut potentiel d'entreprise est bien plus imprévisible. Pour lui, les situations inattendues seront fréquentes et la notion même de performance sera soumise à des critères en constante évolution.
Il est donc bien présomptueux de croire que le potentiel d'un individu au travail est identifiable et mesurable de manière absolue ou si vous préférez prédictible et quantifiable avec précision, indépendamment de l'évolution du contexte et de la capacité transformationnelle de la nature humaine.
Si le potentiel professionnel est ce que l'on espère voir un jour émerger, sur quelle base l’identifie-t-on? La réponse est souvent vague, subjective, et biaisée par la perception des experts et des supérieurs hiérarchiques. D'ailleurs, il n'est pas rare qu'un haut potentiel cesse soudainement de l'être après avoir changé de direction.
Face à tant d'incertitudes, on se rassure comme on peut. Outre l'objectivation par des procédures de sélection normatives, on mise sur le prestige des diplômes, le capital social et la réputation des réseaux du candidat. Souvent, sans le savoir, on compte aussi sur l'effet Pygmalion, c'est-à-dire sur les gains que le haut potentiel va tirer de l'attention qu'on lui portera.
L’envers de la médaille, c’est qu’une écurie de hauts potentiels engendre naturellement chez ceux qui en sont exclus une impression de favoritisme et un sentiment d'injustice. Les hauts potentiels eux-mêmes peuvent ressentir une pression excessive, menant parfois à l'épuisement professionnel. Ceux qui réussissent malgré tout accroissent leur employabilité et en même temps le risque pour l'entreprise de perdre son investissement.
Last but not least, si les compétences des leaders de demain seront différentes de celles d'aujourd'hui, pourquoi persister dans une logique de hauts potentiels aussi peu convaincante ? Ne vaut-il pas mieux s'inspirer de l'adage selon lequel les grandes réussites reposent sur le talent avéré de chacun et la reconnaissance de tous ?
Publié le lundi 07 octobre 2024 . 3 min. 35
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d'Eric-Jean Garcia




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