« Seul, on va plus vite, ensemble on va plus loin ». La popularité de ce proverbe en milieu professionnel est indéniable et fait écho au regain d’intérêt suscité par le sujet de l’intelligence collective, une notion générique parée de toutes les vertus allant de la performance durable au bien-être psychique en passant par l’innovation, la frugalité et l’intégration sociale.
Promouvoir l’intelligence collective permet de fustiger l’individualisme, l’anticonformisme, l’esprit de compétition et toute autre forme de résistance au travail d’équipe. Le collectif est alors vivement encouragé à mutualiser ses capacités expérientielles et cognitives au profit d’un objectif commun. Cela peut sembler aussi indispensable que réaliste et pourtant les travaux sur le sujet prouvent le contraire.
Certes, l’apprentissage au contact d’autrui et la coopération sont des marqueurs de l’espèce humaine à l’origine de sa domination sur terre. Il est par exemple démontré qu’un groupe est capable de surpasser l’intelligence individuelle face à des problèmes logiques ou complexes. Et le succès des plateformes collaboratives comme Wikipédia laisse penser que la foule est bel et bien dotée d’une sagesse productive capable d’élaborer et de maintenir à jour, rien de moins qu’une encyclopédie universelle.
Mais il est aussi prouvé que certains individus pris dans la dynamique d’un rassemblement et animé par un esprit de revanche ou un système de pensée sont capables de transformer une foule en meute, de faire cause commune en commettant les pires atrocités. L’expérience de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité et les travaux de Philip Zimbardo sur ce qu’il appelle « l’effet Lucifer » mettent en évidence ces dérives comportementales de nature à discréditer durablement les intérêts du collectif.
En fait, il n’est jamais certain que les meilleures décisions soient prises à plusieurs et que l’intelligence jaillisse du collectif en ayant respecté la prescription d’un auto-proclamé expert de la chose. Et pour cause, le travail d’équipe prête le flanc à de nombreux biais comme le conformisme social, l’illusion de l’unanimité, le sentiment d’invulnérabilité et la paresse sociale.
De surcroit, si l’intelligence collective s’appuie sur une véritable coopération entre les acteurs, rappelons que celle-ci requiert la confrontation des points de vue laquelle est potentiellement source se désaccords et de conflits. De même, la volonté de recourir systématiquement à l’intelligence collective peut générer chez les personnes concernées une véritable fatigue psychologique dont les symptômes sont notamment la démotivation et le désengagement.
A l’arrivée, non seulement l’intelligence collective est capable du meilleur comme du pire mais elle ne garantit jamais que le collectif aille nécessairement plus loin que l’individu seul. Il arrive, comme le dit si bien Pierre Desproges, que l’intelligence ne s’additionne pas mais qu’elle se divise.
En pratique, la neutralité morale et l’efficacité axiologique de l’intelligence collective est un leurre. En idéalisant ses effets on simplifie à l’excès la singularité et la subtilité des relations humaines au même titre que la complexité des situations rencontrées. Voilà pourquoi, la première intelligence du collectif est de confier sa destinée à autre chose qu’une vision édulcorée, trop bien intentionnée et moralement indiscutée du travailler ensemble.
Publié le mercredi 18 décembre 2024 . 3 min. 36
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