Beaucoup de stratégies tue la stratégie

Vous avez certainement déjà entendu des expressions telles que « Marketing stratégique », « stratégie financière », « gestion stratégique des ressources humaines », « stratégie industrielle », ou à peu près n’importe quoi avec le mot « stratégie » devant, derrière ou à côté. Quel sens donner à ces différentes expressions ? Existerait-il un marketing stratégique, et en quoi serait-il différent du marketing non stratégique ? La stratégie financière ajouterait-elle quelque chose à la finance tout court ?

En fait, vous pouvez être convaincu d’une chose : si dans votre entreprise le département marketing a une stratégie, que le département finance a lui aussi une stratégie, que le département ressources humaines a sa propre stratégie, et qu’il en est de même pour la production ou les systèmes d’information, vous n’avez pas de stratégie. La stratégie, il ne doit y en avoir qu’une, et toutes les fonctions de l’entreprise sont là pour la faire exister.
Tant qu’elle n’est qu’à l’état de plan dans le bureau du dirigeant ou sur les présentations PowerPoint des consultants, la stratégie n’est qu’un projet. Elle existe véritablement lorsque les différentes fonctions la déploient effectivement. Par conséquent, par nature, toute fonction est intrinsèquement stratégique, puisqu’elle permet à la stratégie d’exister. Sans marketing, sans financement, sans ressources humaines, sans production, sans logistique, la stratégie n’est qu’un vœu pieu. Elle ne devient l’orientation à long terme de votre entreprise que lorsque toutes les fonctions se l’approprient.

Par définition, la stratégie est une allocation de ressources qui engage l’entreprise dans le long terme, et c’est bien l’entreprise dans sa totalité qui doit être engagée. Si chacune de vos fonctions définit sa propre stratégie, indépendamment des autres, votre allocation de ressources risque d’être incohérente, les efforts des uns risquent d’être réduits à néant par les efforts des autres, tandis que les jeux politiques, les conflits d’intérêts et les guerres de pouvoir risquent d’empêcher d’atteindre le but collectif. Bien entendu, chaque fonction peut avoir sa propre interprétation sur la meilleure manière d’atteindre ce but collectif, mais malheureusement ces différents points de vue ne sont généralement pas compatibles les uns avec les autres. Là où la production privilégie par exemple l’optimisation grâce à la diminution du nombre de références, la vente préfère souvent les augmenter afin de proposer une offre spécifique à chaque client, tandis que la finance se focalise sur la rentabilité et la réduction des coûts. C’est un des rôles de la stratégie que d’assurer l’alignement des différentes fonctions en vue d’obtenir un résultat commun.

Dans ces conditions, pourquoi parler de marketing stratégique ou de stratégie financière ? Qu’est-ce que cela ajoute, sinon de la confusion ? En fait, dans les entreprises, il semble que la définition la plus courante du mot « stratégie » pour un manager est « ce dont je m’occupe ». En effet, tout le monde est convaincu d’être en charge d’une fonction ou d’un projet stratégique. Et après tout, c’est bien le cas : loin d’être l’ombre portée d’un plan grandiose, la stratégie nait d’actes banals et de détails accumulés.