Les discours stratégiques sont toujours conquérants. Ils annoncent fièrement quels marchés vont être ciblés (c’est-à-dire le périmètre de votre stratégie) et avec quelles offres (c’est-à-dire la valeur qu’elle propose). Malheureusement, ils oublient généralement la troisième dimension fondamentale de toute stratégie : l’imitation. Quel avantage concurrentiel va permettre à ce périmètre et à cette valeur de résister à la concurrence ? Si votre positionnement et votre modèle économique sont aisément imitables, vous serez aisément imité, et votre discours n’aura de stratégique que le nom : tôt ou tard, vous vous contenterez de faire la même chose que les autres ou ils feront la même chose que vous.
Afin d’éviter ce piège de la stratégie creuse, Roger Martin, de l’Université de Toronto, propose un test simple : demandez-vous si la stratégie inverse de celle que vous annoncez serait elle aussi pertinente, ou si elle serait stupide.
Supposez par exemple une banque privée dont la stratégie consiste à s’adresser aux clients aisés disposés à payer pour toute une gamme de produits financiers (son périmètre) en déployant un excellent niveau de service (sa valeur). La stratégie inverse consisterait à s’adresser aux clients pauvres qui refusent de payer pour un ou deux produits financiers, en déployant un niveau de service médiocre. Bien entendu, cette stratégie serait stupide. De même, imaginez un constructeur automobile qui déclare que sa stratégie consiste à proposer des véhicules innovants et respectueux de l’environnement sur les marchés les plus porteurs (son périmètre) grâce à son excellence opérationnelle (sa valeur). L’inverse reviendrait à proposer des véhicules dépassés et polluants sur des marchés en berne au travers de procédés défectueux, ce qui là encore serait particulièrement stupide.
Le raisonnement est donc le suivant : si l’inverse de votre stratégie est stupide, personne ne va l’adopter et par conséquent, tous vos concurrents vont très probablement faire la même chose que vous. Vous n’aurez aucun véritable avantage concurrentiel, et la seule différence avec vos concurrents risque d’être votre prix, ce qui ne manquera pas d’entamer vos marges.
En revanche, si l’inverse de votre stratégie est aussi une stratégie pertinente, cela veut dire que vos concurrents ne vont pas nécessairement vous imiter, et que donc vous disposez peut-être d’un avantage concurrentiel. Lorsque JC Decaux a décidé par exemple de lancer l’abribus pour contourner le fait que la plupart des bons emplacements publicitaires étaient déjà détenus par d’autres groupes d’affichage, on peut estimer que l’inverse de sa stratégie n’était pas stupide, puisque c’était justement ce que pratiquaient ses concurrents établis. De même, lorsque Free Mobile a lancé une offre moins chère que celle de ses concurrents en vendant séparément les forfaits et les mobiles et en faisant l’impasse sur les boutiques physiques, l’inverse de sa stratégie aurait tout aussi bien pu être envisagé. On peut donc en déduire que sa stratégie était originale.
Par conséquent, si vous voulez savoir si la stratégie de votre entreprise est creuse, posez-vous cette question simple : est-ce que l’inverse serait stupide ? Une stratégie creuse a pour inverse une stratégie stupide, alors qu’une stratégie pertinente a pour inverse une autre stratégie pertinente. Reste alors, bien entendu, à choisir la bonne.
Publié le vendredi 3 janvier 2020 . 3 min. 27
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